Édouard Durand s’intéresse de près aux violences conjugales, aux violences familiales et à la question du droit de l’enfants dans un cadre de violence familiale. Il considère que la protection de l’enfant passe nécessairement au préalable par la protection de la mère.
Edouard Durand défend le fait qu’il n’est pas nécessairement dans l’intérêt de l’enfant de garder un lien avec un parent violent.
Qui est Edouard Durand ?
Edouard Durand est Juge des enfants au tribunal judiciaire de Bobigny. Il est membre du Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE). Il est également membre du conseil scientifique de l’Observatoire national de l’enfance en danger.
Edouard Durand est l’auteur du livre » Violences conjugales et parentalité : protéger la mère c’est protéger l’enfant » que nous vous conseillons fortement de lire, ce livre permet de mieux cerner les mécanismes qui sous tendent les violences conjugales, les maltraitances sur l’enfant, et la nécessaire évolution de la justice sur ces sujets.
Nous vous invitons à écouter Edouard Durand présenter son livre « Violences conjugales et parentalité ».
Que dit Edouard Durand ?
Les violences conjugales ont de graves conséquences sur le développement des enfants. Selon Edouard Durand, il n’y a pas de protection possible de l’enfant sans protection de la mère ; donc la protection de la mère victime des violences conjugales est le point de départ de la protection de l’enfant.
En fait il considère qu’il revient à la société de protéger la mère ; et ensuite seulement la mère peut protéger son enfant.
D’après Edouard Durand, le parent agresseur, le violent conjugal, présente plusieurs caractéristiques :
- il est intolérant à la frustration ;
- il n’a aucune empathie ;
- il ne distingue pas l’intérêt et les besoins de son enfant de ses besoins et intérêts à lui, il fusionne les deux ;
- il cherche à garder le contrôle sur l’autre, son conjoint et son enfant, en créant un phénomène d’emprise ;
- il est imprévisible, il alterne des moments où il peut être très gentil avec des moments de colère et de violence.
Un parent imprévisible peut encourager ou féliciter et puis ensuite humilier, il peut désorganiser des plans au dernier moment, ce qui amène un sentiment de grande insécurité mentale pour l’enfant.
Edouard Durand défend le fait qu’il n’est pas nécessairement dans l’intérêt de l’enfant de garder un lien avec un parent violent conjugal, un parent toxique, un parent maltraitant.
« On a tendance à séparer ce qu’il se passe dans le conjugal et dans le parental. Comme si la violence dans le couple n’avait pas d’incidence sur la famille, ce qui est irréaliste. On met l’enfant en danger puisqu’on le confronte à un sujet violent et on permet ainsi à cet homme de maintenir l’emprise sur sa famille. On sait très bien que lorsqu’il est seul avec l’enfant, il va utiliser sa relation pour nuire à la mère, la décrédibiliser, avoir des informations sur elle et faire peur. Mais nous ne voulons pas voir ça. »
Interview Le Monde du 23 novembre 2019
Or malheureusement, selon Edouard Durand, l’enfant n’est pas un témoin passif des violences conjugales, il faut le considérer comme une victime à part entière : 40% à 60% des enfants victimes de violences conjugales sont directement victimes de violences exercées contre eux de la part du parent agresseur. Donc si on maintient des droits de visite et d’hébergement avec le parent violent, on permet au parent agresseur de maintenir l’emprise et la violence sur la famille après la séparation.
Lorsque la justice ou les travailleurs sociaux demandent aux parents de s’entendre pour l’intérêt de leur enfant, et de ce fait de négocier ensemble, de dialoguer ensemble, et que l’on demande au parent protecteur de représenter l’enfant au parent agresseur, on demande l’impossible; et on n’est plus dans la protection de l’enfant. Vous pouvez lire à ce sujet notre article « Pourquoi réformer le délit de non représentation d’enfant ? ».
La justice devrait toujours garder à l’esprit qu’on est en présence d’un agresseur, certes il est le parent de l’enfant mais il est aussi un agresseur, et cet agresseur fonctionne dans un registre de pouvoir et de violence, y compris envers l’enfant.
Enfin Edouard Durand explique que 80% des femmes victimes de violence conjugale sont des mères ; protéger les mères victimes de violences conjugales c’est protéger la société. Ainsi les violences conjugales représentent en fait massivement les violences de l’homme sur la femme ; Edouard Durand s’interroge sur la domination masculine en liaison avec les travaux de Françoise Héritier.
Si l’on revient un peu en arrière dans l’histoire du droit de la famille, on s’aperçoit qu’il a été gouverné selon le principe de la puissance maritale et paternelle ; ça n’est qu’en 1938 que la puissance maritale a été abolie. Et puis en 1970 , donc il n’y a pas si longtemps, la puissance paternelle a été abolie pour faire place à un régime d’autorité parentale.
Il faut absolument faire une distinction entre l’autorité et le pouvoir ; contrairement au pouvoir, l’autorité exclut tout usage de la violence, tout moyen de coercition. La violence dans un couple sont des rapports de domination, le conjoint violent, souvent l’homme, cherche à établir un rapport de force sur sa femme et sur son enfant.
A partir du moment où l’on réalise cela, on comprend pourquoi la justice ne peut pas demander au parent non-violent, protecteur vis-à-vis de son enfant, de s’entendre avec le parent violent. Ce dernier tentera toujours d’exercer ce rapport de force, il utilise d’ailleurs la justice, qu’il instrumentalise, pour maintenir ce rapport de force, même longtemps après la séparation.
« Le principe de coparentalité est très bien lorsque les parents sont capables de se respecter. Mais il faut pouvoir penser des exceptions à ce principe : lorsqu’on a un agresseur qui est dans l’emprise et dans le pouvoir, il ne peut pas y avoir de coparentalité.
Interview le Nouvel Observateur du 26 janvier 2018
Cela ne sert à rien de mettre en place des mesures de protection de l’enfance et un suivi pédopsychiatrique si la protection de l’enfant n’est pas assurée sur le plan de la parentalité, c’est à dire si on laisse le violent conjugal maintenir sur la mère et l’enfant l’emprise par l’exercice de l’autorité parentale.»
Une avancée récente grâce à un arrêt de la Cour d’Appel du 21 septembre 2020
Dans cette affaire le père a été condamné à huit ans de réclusion criminelle et cinq ans de suivi socio-judiciaire, en décembre 2019, pour avoir essayé de tuer la mère, sous les yeux de leur fille. De ce fait la mère avait demandé la déchéance des droits parentaux du père, mais la justice le lui a refusé en expliquant qu’il n’était pas dans l’intérêt de l’enfant de rompre le lien avec le père.
Cette mère a fait appel et le 21 septembre 2020 la Cour d’appel de Versailles lui a donné raison et a déchu le père de ses droits parentaux. Les magistrats ont ainsi reconnu qu’un homme qui a essayé de tuer sa compagne sous les yeux de leur fille n’était pas un bon père.
Il faut savoir que malheureusement l’autorité parentale permet souvent aux hommes violents, après la séparation, de continuer à garder une emprise sur leur ex compagne, de les dénigrer, de les persécuter, et l’enfant est instrumentalisé par le parent violent pour essayer d’atteindre et de faire du mal à la mère.
Cet arrêt de la Cour d’Appel de Versailles est donc une bonne nouvelle ! Espérons maintenant qu’il fasse jurisprudence.
Pour connaitre tous les détails de cette affaire nous vous conseillons la lecture de l’article de Vanessa Boy-Landry dans Paris Match le 25 septembre 2020.
Enfin pour aller plus loin et mieux connaitre les idée du juge Edouard Durand nous vous conseillons d’écouter cette interview d’Edouard Durand sur RMC le 16 juin 2020 et de lire cet article dans la Croix du 17 septembre 2020.