Est-ce la fin des pensions alimentaires impayées ? Car, c’est officiel, à partir du 1er mars 2022, la caisse d’allocations familiales devient l’interlocuteur automatique entre les parents divorcés. Ce sera elle qui effectuera les versements / prélèvements des pensions alimentaires. L’objectif ? Prévenir les prévenir les impayés, soulager la pression financière et la charge mentale des plus démunis.
On le sait hélas, dans le cadre d’une séparation, les enjeux financiers sont souvent le lieu de chantage, d’intimidation et de non régularité. Les pensions alimentaires impayées sont une grande source de précarité et de poursuite des violences intra-familiales.
Le sujet des pensions alimentaires impayées : un poids énorme pour les victimes.
Actuellement, les victimes des situations d’impayés sont des femmes seules avec des enfants. Elles représentent 54% des dossiers de surendettement du fait d’un ancien conjoint qui ne règle pas la pension alimentaire.
Comme la caisse d’allocation familiale devient l’intermédiaire officiel, le débiteur devra payer à la CAF la pension prévue qui la reversera ensuite à l’autre partie.
Si le débiteur ne règle pas ce qu’il doit, la CAF verse une allocation minimale de 124€ à l’autre parent par mois et par enfant puis lance les démarches pour aller récupérer les sommes dues.
Ce service gratuit existait depuis janvier 2021 mais devait nécessairement être activé par une des parties. 73.000 familles avaient demandé à bénéficier de cette intermédiation, dont 61.000 qui avaient déjà connu des problèmes d’impayés. Désormais, il s’appliquera automatiquement aux divorces prononcés par un juge, sauf si les deux parents sont d’accord pour s’en passer.
La réforme sera étendue le 1er janvier 2023 à toutes les autres séparations impliquant des enfants mineurs (divorce par consentement mutuel ou titre exécutoire délivré par la CAF)
En France, près d’une pension alimentaire sur trois n’est pas correctement versée.
Désormais, ce sont la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) et la Mutualité sociale agricole (MSA), deux organismes publics, qui vont prélever automatiquement la somme sur le compte du conjoint qui doit verser la pension alimentaire.
122 millions d’euros ont été budgétés cette année à cet effet, un montant qui doit atteindre 179 millions en 2025. Côté justice, 200 postes de greffiers supplémentaires ont été créés pour permettre la transmission des informations nécessaires aux caisses d’allocation familiale, a indiqué le cabinet du garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti.
Deux cas de figure pour en bénéficier :
Séparation depuis le 1er mars 2022 :
Vous divorcez devant un juge : vous n’avez rien à faire. Le service est mis en place automatiquement. Dès la pension alimentaire fixée, le greffe transmet la décision de justice à la l’aripa et la CAF prendra ensuite contact avec vous pour l’organisation.
Vous divorcez ou vous vous séparez sans juge : faites fixer la pension alimentaire dans un titre exécutoire et demandez à bénéficier de ce service directement sur le site www.pension-alimentaire.caf.fr
2 – Séparation avant le 1er mars 2022 :
Vous avez un dossier de recouvrement des pensions alimentaires en cours : vous n’avez rien à faire. L’Aripa vous contacte une fois que toutes les pensions impayées ont été récupérées pour vous proposer d’être l’intermédiaire pour le versement des pensions à venir.
Vous n’avez pas demandé d’aide au recouvrement des pensions alimentaires : pensez à faire fixer le montant de la pension alimentaire avant de réaliser votre demande d’intermédiation financière directement sur www.pension-alimentaire.caf.fr
Soulagement ou effet d’annonce ?
Forcément, on espère un soulagement pour les familles monoparentales de plus en plus nombreuses, dont 85% de femmes seules. Car quand on sait que les pensions constituent en moyenne 20% des revenus de ces « parents solo », on comprend les difficultés importantes en cas de défaillance.
Si cette réforme est réellement mise en place et soutenue par des moyens adéquats, on peut espérer la fin du poids administratif, financier et psychologique des impayés.
Avec le souhait supplémentaire que les parents qui refusent de payer soient poursuivis au lieu de s’en laver les mains en disant « c’est bon, tu as la CAF »…
Voici un nouveau témoignage d’une victime de violences conjugales qui peine à être entendue. Pourtant, à Limoges, Lise (tous les prénoms ont été changés) a bénéficié d’une ordonnance de protection. Mais quelques années plus tard, ses enfants ont été confiés à leur père, malgré sa condamnation pour violences conjugales, et alors que leur fils venait de dénoncer des maltraitances paternelles ! Le travail à la préfecture du papa n’y est sans doute pour rien…
L’histoire de Lise : témoignage d’une victime de violences conjugales
Lise connait Paulo depuis longtemps, ils ont des proches en commun. Ils se croisent à nouveau à Paris pour la fête d’anniversaire de ses 31 ans (à elle). Il a 11 ans de plus, apparaît cultivé et attentionné. Ils entament une relation à distance et partagent de très beaux week-ends tantôt à Paris, chez lui, tantôt à Lyon, où elle est en poste. Tout semble idyllique et elle se sent en confiance. Ils ont rapidement le projet de s’installer ensemble et de fonder une famille. Ils ont 33 et 44 ans quand ils se marient en 2009. Leur fils William naît en 2010.
Hélas, le comportement de Paulo a commencé à changer avant la naissance de l’enfant. Il s’énerve pour un rien et devient blessant et agressif à l’égard de Lise. Le jour de la naissance de William, il s’agace que l’accouchement prenne autant de temps et explique à Lise, sidérée et choquée, qu’il aurait mieux à faire ! Lise met cela sur le compte des changements liés à l’arrivée de leur enfant, et de son côté vieux garçon. Paulo ne supporte pas les pleurs de leur fils, il l’arrache brutalement des bras de sa mère pour le « calmer », et accuse Lise de ne pas « savoir y faire, d’être une mauvaise mère ».
Les dénigrements deviennent systématiques. Devant leurs amis et la famille, Paulo change les couches (ce qu’il ne fait jamais le reste du temps), et se présente comme un père attentif et un mari prévenant. Il est très convaincant quand il leur parle longuement des rendez-vous chez le pédiatre, auxquels pourtant il ne vient jamais ! A la maison, il se comporte en tyran.
Quand il va trop loin, il s’excuse, met cela sur le compte de sa fatigue, des transports, du travail…Il laisse passer quelques jours puis relance la roue de la violence verbale et psychologique. D’un commun accord, Lise et Paulo décident de déménager pour aller en province, avoir plus d’espace et un cadre de vie plus agréable. Lise espère que cela va permettre à Paulo de s’apaiser. Elle obtient sa mutation. Paulo ne la rejoindra qu’un an plus tard. Lorsqu’il vient voir sa femme et leur fils le week-end, il s’alcoolise et « fait ses crises ».
Un samedi de janvier 2013, il agresse physiquement Lise en la serrant au cou et menace de la tuer. Cela se passe devant William, qui a 2 ans et demi et qui crie. Le père lâche prise. Lise a eu très peur. William ne cesse de refaire le geste, en disant « papa colère ».
Lise va se réfugier dans sa famille avec son fils. Avant de partir, elle porte plainte au commissariat de Limoges, où elle est reçue plus que fraichement par la police : on lui explique que Paulo « est de la maison » : il est un ancien du secrétariat général d’administration de la police et travaille désormais au Cabinet du Préfet. « C’est embêtant, il ne vous a même pas frappée » lui explique le policier qui enregistre la plainte (certes… il a « juste » tenté d’étrangler Lise et l’a menacée de mort devant leur fils sic !). On n’envoie pas Lise à l’hôpital, où elle aurait pu faire établir un certificat médical pour les traces qu’elle porte au cou. Et elle est tellement choquée qu’elle n’y pense pas ! La brigadière chargée de l’enquête est embarrassée, elle conseille à Lise de retirer sa plainte : arguant que cette plainte va « gâcher la carrière de son mari » et briser une famille, « leur fils a besoin de son père »…
Paulo s’engage à aller voir un psychologue. Devant cette promesse, Lise retire sa plainte et retourne vivre avec son mari. Il s’apaise quelques temps, elle a l’impression d’avoir retrouvé l’homme dont elle était tombée amoureuse, et elle accepte le projet d’un second enfant. Il est difficile d’imaginer qu’on puisse s’être tant trompée sur l’homme qui partage votre vie et qui est le père de votre enfant. La puissance du déni sans doute… Gisèle naît au printemps 2014. Contrairement à ses promesses, Paulo n’a pas rencontré de psychologue pour travailler sur ses violences. Désormais, quand il rentre du travail le soir, il s’enferme à l’entresol de la maison avec ses bouteilles d’alcool.
Lorsqu’il en remonte, il lance les objets qui lui tombent sous la main et met la maison à sac. Lise doit tout ranger, s’occuper des enfants bien sûr, et les protéger du mieux qu’elle peut de l’impulsivité de leur père et de ses violences qui sont en train de devenir leur quotidien. Elle n’en fait jamais assez aux yeux de Paulo, qui lui cite sans cesse en exemple sa mère « qui, elle, ne s’asseyait jamais ». Lise ne l’a pas connue : lorsqu’elle a commencé à sortir avec Paulo, il venait juste de déménager du domicile de sa mère, morte quelques temps plus tôt.
Un soir d’octobre 2014, alors qu’elle s’est réfugiée sur son balcon avec les enfants pour échapper à une nouvelle crise de violence de Paulo, Lise prend la décision d’alerter ses voisins, qui contactent la police. Elle croise Paulo en partant, il la bouscule alors qu’elle a leur bébé dans les bras, il l’insulte et lui crache au visage, ainsi qu’à leur fils de 4 ans. Plus tard, lors des procédures judiciaires pour les droits de garde des enfants, les magistrats expliqueront à Lise que les violences « étaient de l’ordre du conjugal » et n’avaient rien à voir avec les enfants, et qu’il n’y a aucune raison de croire que Paulo ne peut pas être un bon père…
Une police complaisante
Le 17 octobre 2014, quand les policiers arrivent, Paulo leur explique qu’il travaille avec le Préfet. Malgré l’état de la maison, l’ébriété de Paulo, le témoignage des voisins et celui apeuré du petit garçon les policiers disent qu’ils n’ont pas assez de preuves. Néanmoins, ils contactent un médecin pour calmer Paulo, qu’ils ne souhaitent pas emmener en cellule de dégrisement au regard de ses fonctions ! Et les policiers conseillent à Lise de partir quelques jours avec ses enfants, « le temps que les choses s’apaisent ».
Lise fait rapidement les valises des enfants, et part chez ses parents, à Angoulême. William, qui a 4 ans, et qui n’a pas pu prendre avec lui les jouets que son père a cassés dans sa « crise », dit à sa maman : « Je suis bien triste de quitter ma maison comme ça ». A Angoulême, Lise dépose une main courante afin de ne pas être accusée d’abandon de domicile. Cette fois-ci des policiers bien formés la prennent en charge, au sein d’une Brigade de la famille, qui travaille en lien avec le centre hospitalier.
On la convainc de rassembler des preuves et de porter plainte. Lise rassemble des enregistrements audio dans lesquels le père de ses enfant la menace de mort et menace également de la priver de leurs enfants. Il y a également les mails d’insulte, que Paulo lui a envoyés de son adresse de messagerie portant la mention du Cabinet du Préfet avec les symboles républicains. L’ancienne compagne de Paulo accepte aussi de témoigner de sa double personnalité et de ses crises de violence, dont elle a elle aussi été victime (c’était avant qu’il sorte avec Lise). Elle atteste qu’il peut devenir dangereux très brusquement, comme lorsqu’il lui a mis une fourche sous la gorge. Elle conclut qu’elle « craint pour la sécurité des enfants s’ils sont laissés seuls avec lui ». Toutes ces preuves sont analysées et authentifiées.
Lise prend conscience qu’elle s’inscrit bien dans la réalité des femmes victimes de violences conjugales. Suite à sa plainte, elle est envoyée au centre hospitalier, qui établit un certificat médical avec un ITT de 10 jours. Parallèlement Lise s’assure que William soit pris en charge par un pédopsychiatre, qui diagnostique un stress post-traumatique. Il écrit le 27 novembre 2014 que William est « très envahi par les souvenirs traumatiques et la violence ». Quelques années après, les magistrats prendront le parti de considérer que c’est Lise qui projette ses propres souvenirs traumatiques des violences sur son fils, ce qui la rendrait « toxique » et « aliénante » pour ses enfants, selon l’approche que le père réussit à imposer dans les procédures liées à la garde.
Au début pourtant, Lise et ses enfants sont protégés par la justice. L’association SOS violence conjugales la soutient dans ses démarches, lui conseille de prendre un avocat et de demander une ordonnance de protection. C’est une mesure d’urgence, mais Lise – et ses enfants – devront attendre 2 mois cette ordonnance : à Limoges son dossier de plainte et l’intégralité des pièces ont disparu ! Le brigadier chargé de l’enquête doit renvoyer le dossier au Parquet. Pendant ce temps, Paulo met la pression sur Lise, alterne les courriels d’excuses et ceux d’intimidation, lui fait du chantage à la garde des enfants. Il téléphone à son travail et menace l’une de ses collègues, qui ne veut pas lui dire où est Lise. Il menace cette collègue, affirmant « qu’il a le bras long et qu’il peut ruiner sa carrière ». La supérieure hiérarchique de Lise atteste de ces pressions.
L’ordonnance de protection est délivrée le 6 janvier 2015, il y est inscrit que William a été témoin des violences. Lors de l’audience, la magistrate se permet cependant de reprocher à Lise d’avoir déscolarisé William (qui a 4 ans), pendant la période où elle s’est réfugiée chez ses parents dans l’attente de l’ordonnance ! En l’absence d’ordonnance de protection, si Lise avait continué à emmener William à l’école, le père pouvait savoir où ils vivaient, aller chercher l’enfant et l’utiliser comme outil de pression ! Tout au long des procédures qui vont suivre, Lise va se rendre compte que les magistrats auxquels elle a affaire ont bien du mal à comprendre les réalités concrètes que vivent les victimes de violences et leurs enfants après la séparation.
Suite à l’ordonnance de protection, Paulo n’a le droit de voir les enfants qu’en lieu neutre, sans autorisation de les sortir. Le Procureur porte la plainte au pénal. Paulo est condamné à 3 mois de prison avec sursis le 20 août 2015, mais obtient une exclusion de la mention de sa condamnation sur son casier judiciaire, « en raison de ses fonctions » (selon que vous soyez puissant ou misérable…). Afin de ne pas être suspectée de faire cela pour obtenir de l’argent, Lise n’a demandé, et obtenu, qu’un euro symbolique de dommages et intérêts pour les violences subies.
Pendant 3 ans, Paulo voit les enfants un samedi sur deux pendant 2h. Il n’entreprend aucun travail sur ses violences et continue à en être dans le déni, envoyant à Lise des courriels dans lesquels il continue à lui reprocher « son abandon du domicile conjugal sous des prétextes fallacieux » ! Lise demande le divorce. Pour statuer sur les droits de garde, le Juge aux affaires familiales (JAF) ordonne un bilan psycho-social. C’est à partir de là que la situation va connaître un total revirement, au détriment de Lise, de ses enfants, et de leur protection.
Double peine des victimes de violences conjugales
Le psychologue chargé du bilan psycho-social ne connaît manifestement rien aux violences conjugales et explique à Lise que les violences psychologiques ne sont pas graves, et qu’elle n’a « même pas été battue » (juste insultée, étranglée et menacée de mort devant son enfant de 4 ans !). Il lui dit même que « cela n’était pas si grave puisque vous avez eu un deuxième enfant avec cet homme », sans prendre en compte le fait que dans les violences domestiques les cycles de violence alternent avec des périodes dites « de lune de miel ». Durant ces périodes, l’auteur des violences promet de changer et se montre particulièrement charmant, c’est précisément cette alternance qui permet de déstabiliser psychologiquement leur conjointe voire de la culpabiliser (« il fait des efforts pour changer, je dois l’aider ») et de renforcer leur emprise, surtout quand elle est épuisée, en manque de sommeil, et de plus en plus isolée de sa famille et de ses amis.
D’ailleurs Paulo ne supporte pas la famille de Lise, ne supporte pas qu’elle aille voir ses parents avec les enfants. Il dit régulièrement à Lise qu’elle a « une famille de cons », qu’elle ne « peut rien faire sans ses parents » et menace de « faire la peau » à ces derniers, comme en atteste un enregistrement d’une des crises de violence de Paulo. A l’appui de ces éléments, Paulo a eu interdiction d’approcher de ses beaux-parents dans le cadre de l’ordonnance de protection du 6 janvier 2015.
Pour en revenir au psychologue chargé du bilan pour les droits de garde, il décrète dans son rapport que le père ne présente aucune dangerosité avec les enfants – alors qu’il n’a même pas vu Paulo en présence de ses enfants dans le cadre de ce bilan… Il ne tient compte ni du témoignage de l’ex-compagne de Paulo, qui avait attesté de sa personnalité violente et inquiétante, ni de la condamnation pénale qu’il considère comme « des problèmes de couple » n’ayant rien à voir avec les droits de garde. Pire, en mentionnant les événements liés aux violences conjugales et à la personnalité de Paulo, Lise est accusée de « tenir un discours à charge contre le père » (ce sont là les termes du bilan psycho-social).
C’est un tournant : Lise et ses enfants vont faire les frais de la théorie de la « mère aliénante », qui permet une totale inversion des rôles. Paulo va désormais se présenter comme la victime, victime d’une ex-conjointe et de beaux-parents qui « dénigreraient son image et sa place de père auprès de leurs enfants », et il va réussir à imposer cette version auprès des professionnels judiciaires de Limoges.
Lise est effarée par la violence sexiste qui est à l’œuvre dans ce bilan. Pour les protéger, ses enfants et elle, Lise a quitté le domicile conjugal, porté plainte, demandé et obtenu une ordonnance de protection, rassemblé des preuves des violences subies, affronté un procès pénal. Elle n’imaginait pas que ce n’était là que le début du combat, et que le plus dur l’attendait !
En 2017, à l’appui du rapport du psychologue, le père saisit le Juge des enfants en dénonçant une entreprise d’aliénation de ses enfants par leur mère et leurs grands-parents maternels. Le Juge des enfants ne souhaite pas prendre en compte les éléments liés à la condamnation du père pour violences conjugales, ni le fait qu’il avait menacés de mort Lise et ses parents, et qu’il lui avait fait interdiction de les approcher dans le cadre de l’ordonnance de protection du 6 janvier 2015.
Deux après cette ordonnance de protection et la condamnation pénale du père de ses enfants, Lise va découvrir que les magistrats considèrent que «les violences domestiques, c’est de l’histoire ancienne », « des problèmes de couple, qui n’ont rien à voir avec les enfants ». C’est à elle qu’on reproche de ne pas évoluer dans l’image qu’elle a du père de ses enfants. Lui peut impunément lui écrire, de son adresse de messagerie du Préfet, pour lui reprocher « son abandon du domicile conjugal sous des prétextes fallacieux » ! C’est pourtant la preuve qu’il n’a pas accepté sa condamnation pénale ni travaillé sur ses violences, mais les magistrats ne semblent pas vouloir s’intéresser à ces aspects.
Lise découvre que face au discours du père de ses enfants, sa parole pèse bien peu. Pire même, le fait d’avoir été victime de violences domestiques joue contre elle et contre la protection de ses enfants, puisqu’on va la suspecter d’être trop « imprégnée de ses souvenirs des violences » et « dans un combat contre le père », quand elle va dénoncer les maltraitances dont est victime William, leur fils de 8 ans. La théorie de la mère aliénante va également permettre de disqualifier la parole de l’enfant. Implacable. Pourtant un certificat médical hospitalier atteste des lésions que présente William le 30 octobre 2018, au retour d’un droit de visite des enfants chez leur père : « 9cm x 5cm sur la joue gauche, 3cm x 4 cm au creux susclaviculaire gauche, 4x 1cm au susmamaire droit, 1cm x 0,5 au scapulaire droit et à l’auxiliaire gauche, ainsi que des lésions devant et à l’arrière du cou ».
William et Gisèle ont passé la journée avec leur père. Lorsqu’il les ramène, William a un nouveau T-shirt, il ne parle pas et part directement s’enfermer dans sa chambre. Cela ne lui ressemble pas. Lise est perplexe. Au moment où elle lui demande d’aller se doucher, William s’effondre dans ses bras et lui montre les blessures qu’il a au cou, à la joue et au torse. L’enfant lui explique que son père a bu des verres d’alcool le midi, qu’après il s’est énervé, l’a poursuivi, empoigné par le T-shirt – qui s’est déchiré, – l’a serré au col, soulevé du sol, fait retomber et giflé. Et tout cela devant la petite sœur, Gisèle (qui a 4 ans). Le père est ensuite aller acheter un nouveau T-shirt à William.
Les blessures que présente son enfant correspondent aux violences qu’il décrit. Lise l’emmène immédiatement aux urgences pédiatriques de l’Hôpital mère-enfant de Limoges. Le médecin établit un certificat médical de 15 lignes avec une ITT de 8 jours, attestant des lésions et de leur envergure.
Dès le lendemain matin, et à l’appui de ce certificat médical, Lise va porter plainte au Commissariat central de Limoges. William est entendu à la Brigade des mineurs. Des photos de ses blessures sont prises. Ces violences ont eu lieu alors qu’une action éducative, ordonnée par le Juge des enfants, est en cours depuis plusieurs mois, et ce afin de « favoriser les contacts père-enfants ». L’éducatrice chargée de cette mesure a prôné un élargissements des droits de garde du père, qu’elle présente comme structurant envers les enfants. Juste avant les événements du 30 octobre 2018, cette éducatrice écrit dans son rapport que William est « très à l’écoute des consignes de son père et acceptant les limites posées par celui-ci ». Le père lui va reconnaître s’être énervé et avoir empoigné William par le T-shirt ce 30 octobre 2018, « parce qu’il refusait de lui obéir » !
Le père évoquera des « violences involontaires » lorsqu’il a empoigné William par le col et déchiré son T-shirt. C’est la version que retiendront les magistrats. Et la plainte sera classée. Cette plainte va même se retourner contre Lise, qui va être culpabilisée d’avoir osé « dénigrer l’image du père » en dénonçant ses violences. Et on va le lui faire payer très cher ! Jusqu’alors Lise était décrite comme une mère « chaleureuse et investie auprès de ses enfants » dans les rapports du service éducatif, qui va désormais la présenter comme « très engagée dans le conflit et la disqualification du père ».
Lise a informé l’éducatrice des événements du 30 octobre 2018 et de son dépôt de plainte. L’éducatrice les convoque dans les locaux du service éducatif, William et elle. Devant l’enfant, elle explique à Lise que « William s’est sûrement fait cela tout seul » et qu’elle « n’aurait pas dû se précipiter pour aller porter plainte et en parler », qu’elle « aurait dû en parler d’abord avec le père qui a sûrement de bonnes explications » ! William est profondément choqué que l’éducatrice ne le croit pas. L’éducatrice écarte le certificat médical hospitalier qui appuie la parole de William. Lise apprendra que l’éducatrice n’a d’ailleurs pas transmis ce certificat au Juge des enfants. L’éducatrice n’hésite pas à culpabiliser Lise : en emmenant son fils aux urgences et à la Brigade des mineurs, elle contribuerait à le « traumatiser » et à diffuser une image inquiétante de son père !
Lise découvre, sidérée, que l’image paternelle semble compter beaucoup plus pour cette éducatrice que la parole de l’enfant et l’origine des blessures de plusieurs centimètres qu’il présente autour du cou, au torse et à la joue. Le service éducatif, chargé de la sauvegarde de l’enfance, va en réalité œuvrer à la protection des intérêts et de l’image du père violent ! William ne veut plus aller chez son père et supplie Lise de ne pas l’y envoyer dans le cadre des droits de visite qui suivent ces événements. Quel parent aurait continué à confier ses enfants, après avoir vu des blessures de cette envergure sur son fils ? D’autant que, durant cette période où Lise ne présente pas les enfants au père, la pédopsychiatre de William écrit que l’enfant s’apaise et progresse bien.
Le 16 novembre 2018, Lise écrit au Procureur de la République pour l’alerter sur la situation. Elle ne recevra jamais de réponse à ce courrier. En revanche le Procureur sera présent à l’audience que convoque le Juge des enfants, alerté par l’éducatrice sur la non représentation des enfants à leur père. Il est exceptionnel que le Procureur soit présent à ce type d’audience. Il est là pour tenir un discours de minimisation de la condamnation du père pour violences conjugales, et de leur impact sur les enfants. Il n’hésite pas à affirmer – c’est dans le jugement – que les violences ont eu lieu « hors la présence des enfants » (malgré les témoignages des voisins, le certificat établi par le pédopsychiatre attestant que William est imprégné de souvenirs traumatiques des violences, le courriel que le père lui-même avait envoyé à Lise de son adresse de messagerie du Cabinet du Préfet et dans lequel il reconnaît ses « colères devant William »…).
Quant au certificat médical hospitalier du 30 octobre 2018, le Procureur le fait écarter, considérant que le père est présumé innocent. William est entendu par le Procureur et par le Juge des enfants. La parole de l’enfant, quand il explique que « son père lui a fait mal » n’est pas plus prise en compte que le certificat médical hospitalier.
En revanche, les magistrats considèrent que Lise porte gravement atteinte aux droits et à l’image du père, en dénonçant des violences et en ne lui présentant pas les enfants ! Cela ferait d’elle une mère « toxique » et aliénante ». Dans le jugement, on lui reproche aussi d’avoir « une conception militante de la protection de ses enfants ». On lui reproche même d’avoir « déscolarisé » William pour l’emmener à la Brigade des mineurs, alors que c’était pendant les vacances scolaires d’automne !
Victime du corporatisme de son ex mari violent
Lise fait l’expérience que tous les arguments sont bons pour culpabiliser une mère qui a osé dénoncer des maltraitances paternelles. William et Gisèle vont être confiés à leur père, et ce malgré sa condamnation pour violences conjugales, malgré le certificat médical attestant des lésions que présentait William au retour d’un droit de visite au domicile paternel, malgré la parole de l’enfant… La justice opère même une compète inversion des rôles par rapport au temps de l’ordonnance de protection : le Juge des enfants décide que Lise ne pourra voir ses enfants qu’en lieu médiatisé, en présence de l’éducatrice, le temps de bien comprendre que dénoncer les maltraitances du père de ses enfants fait d’elle une mère « toxique et aliénante ».
Peu de cas semble être fait, en revanche, de l’image qui est véhiculée de la mère dans ces décisions judiciaires. Et ni les éducateurs ni les magistrats ne s’intéressent à ce que William et Gisèle ont compris de la situation. Lorsque William voit la campagne d’information sur la lutte contre les violences faites aux enfants, il demande pourquoi les juges ont décidé de les envoyer chez leur père, sa sœur et lui, alors qu’il avait dit ce que son père lui avait fait… Quelques semaines après avoir été brutalement séparée de sa mère, Gisèle développe un eczéma sévère. A l’école, la dame chargée de surveiller la cantine et les récréations s’inquiète car Gisèle est triste, reste dans son coin, et réclame sa maman. Mais elle refuse d’en témoigner dans une attestation judiciaire, car le père est membre du Cabinet du Préfet, et elle ne veut pas avoir de problème…Dans ses rapports, l’éducatrice affirmera que le transfert de la garde des enfants au père s’est très bien passé.
Dès 2016, le 5ème Plan de lutte contre les violences faites aux femmes soulignait le caractère médicalement infondé de la théorie de l’aliénation parentale, et les graves conséquences de l’utilisation de cette approche. Il était demandé aux professionnels de la proscrire. Mais à Limoges, les professionnels auxquels Lise a affaire lui expliquent que c’est une recommandation trop « militante », qui ne fait pas partie de leurs outils… Cela permet sans doute de comprendre le positionnement qu’ils ont adopté.
Du temps de leur vie commune et au moment où Lise a fuit ses violences, Paulo n’hésitait pas à utiliser les enfants comme moyens de chantage et de pression. Il a désormais obtenu leur garde, et entend « faire payer » à Lise ce qu’il nomme son « abandon du domicile conjugal sous des prétextes fallacieux ». Lorsqu’il lui envoie ses reproches, c’est de son adresse de messagerie du Cabinet du Préfet, et en mettant en copie les éducateurs.
Mais ni les éducateurs ni les magistrats ne souhaitent, semble-t-il, envisager que le père puisse faire de la garde un outil de vengeance et de poursuite de son emprise, après la séparation. Il est apparemment hautement subversif d’imaginer cela de la part d’un père, de surcroît membre du Cabinet du Préfet. Pourtant de nombreux faits attestent que Paulo œuvre à disqualifier Lise auprès des professionnels du service éducatif. Il écrit aux éducateurs pour se plaindre que Lise aurait « fait une scène » à la fin du cours de judo de William, qu’elle se serait « roulée par terre » devant les autres parents et aurait refuser de lui rendre Gisèle. Il ne joint aucune attestation de témoins.
Lise doit demander au moniteur de judo de démentir ces accusations et de rétablir la vérité, ce qu’il fait dans une attestation judiciaire. Qui ne sera jamais citée ni dans les rapports des éducateurs ni dans les jugements. Dans cette attestation, le moniteur de judo souligne que c’est le père qui s’impatientait et supportait mal les marques d’attachement de Gisèle à sa mère… Suite à cet incident, qu’il a donc créé de toutes pièces, le père n’emmènera plus les enfants à leurs activités extra-scolaires.
Il reproche ensuite à Lise la prise en charge thérapeutique de leur fils et affirme sa volonté de « sortir » William de son suivi pédopsychiatrique. Dans un courriel dont les éducateurs sont en copie, il se présente comme celui « qui guide les enfants vers leur liberté »… Il se vante « d’accorder gracieusement » à Lise « le droit de voir leurs enfants » pour la Fête des mères en 2019, et lui refuse – moins gracieusement – en 2021. A l’hiver 2021, les enfants appellent Lise jusqu’à 12 fois par week-end lorsqu’ils sont chez leur père. Ils réclament leur mère, ils lui demandent aussi où elle est et avec qui. Les éducateurs demandent alors au père de ne plus laisser le téléphone aux enfants, en dehors des rendez-vous téléphoniques mère-enfants.
Et les magistrats, à l’appui des rapports du service éducatif, reprochent à Lise d’être « dans un combat contre le père », lorsqu’elle s’inquiète des comportements de contrôle et d’emprise de Paulo. Le psychologue-référent auprès de la protection de l’enfance, que Lise a demandé à rencontrer, atteste qu’elle n’a pas du tout le profil d’une mère aliénante. Ce courrier, en date du 22 mars 2019 est transmis aux éducateurs et aux magistrats ; il n’est pas cité dans les jugements.
En janvier 2020, lors d’un de ses week-ends de garde, Lise voit que William porte un énorme bleu au bras. William lui explique que le mercredi précédent, son père s’est énervé parce qu’il avait vomi dans sa voiture. D’après les dires de l’enfant, son père lui a serré le bras très fort en le traitant de « salaud ». Mais il demande de ne surtout pas en parler, car « papa serait très en colère ».
Lise fait un signalement auprès de la responsable du service éducatif, en insistant sur la peur exprimée par William. L’éducatrice parle de ce bleu avec l’enfant au domicile du père et en présence de celui-ci ! William se sent trahi, il dit à sa mère qu’il ne parlera plus jamais aux éducateurs de ce qui se passe chez son père ! Lise se plaindra de ne pas avoir de retour du service éducatif concernant son signalement. La cheffe du service éducatif lui expliquera alors que l’énorme bleu et les insultes faits à William sont le « signe d’un père en souffrance ». Toujours cette logique d’inversion des rôles : les professionnel s’intéressent à la « souffrance » de l’auteur des violences, pas à celle de l’enfant maltraité ! Le Juge des enfants, lui, reprochera à Lise de s’inquiéter au moindre bleu.
William et Gisèle, entendus par le Juge des enfants le 8 décembre 2020 se plaignent des « cris et des propos rabaissants » auxquels ils sont exposés au domicile paternel, et de ce que le Juge des enfants nomme pudiquement les « réactions excessives » du père. Les éducateurs n’avaient pas fait état de ces éléments dans le rapport remis au Juge des enfants quelques jours plus tôt. Ils avaient considéré que les enfants étaient « globalement apaisés au domicile du père ». Avant la remise de leur rapport au Juge, le père avait pris soin d’écrire aux éducateurs, pour affirmer que les enfants étaient avec lui « dans une belle dynamique, apaisés et sereins » (Ce courriel est envoyé de son adresse de messagerie du Préfet, avec les symboles républicains).
Les éducateurs expliqueront ensuite à Lise que les « cris, propos rabaissants et réactions excessives » sont « inclus dans le ‘globalement’, lorsqu’ils écrivent que « les enfants sont globalement apaisés au domicile du père » ! Ils lui expliquent également que « cela fait partie du style éducatif paternel ». Le Juge des enfants considère d’ailleurs que le père progresse, et que cela justifie de renouveler pour une quatrième année la mesure éducative.
La situation d’Lise et de ses enfants relève de TOUT ce qui a été dénoncé dans le rapport des experts du Conseil de l’Europe (GREVIO) concernant la France : le transfert de résidence des enfants au domicile du père condamné pour des violences conjugales, l’absence de prise en compte de la parole des enfants et des raisons de leur non représentation au père, la disqualification de la mère qui se voit restreindre ses droits de garde au profit de l’auteur des maltraitances.
Ce rapport est paru en 2019, au moment où Lise a fait appel de l’ordonnance judiciaire qui a confié ses enfants à la garde principale du père. Lise vient juste d’avoir la décision de la Cour d’appel de Limoges, en ce début 2022 (au bout de plus de 2 ans d’attente). William a demandé à être entendu par les magistrats de la Cour d’appel et s’est prononcé en faveur d’un changement du système de garde ( c’était le 24 juin dernier, il avait alors presque 11 ans). Mais la Cour d’appel n’a pas souhaité remettre en cause le système de garde et a même condamné Lise à payer des dommages au père, au titre de la multiplication des procédures à son égard ! Quelle idée aussi de dénoncer ses violences et d’oser chercher à les faire protéger, elle et ses enfants ! La jurisprudence ainsi créée est inquiétante, et profondément contraire aux recommandations visant à mieux protéger les femmes et les enfants victimes de violences !
Pour certains magistrats, il semble qu’une « bonne mère » soit une femme qui se tait. En dénonçant des violences, elle peut être accusée de dénigrer l’image du père et d’alimenter le conflit parental, et se voir durablement restreindre l’accès à ses enfants. Ce jugement de la Cour d’appel de Limoges apparaît comme une douloureuse et choquante illustration de ce que le Parlement européen dénonce dans sa résolution du 6 octobre 2021 : des « décisions prises contre la mère », qui ne tiennent pas compte de la « continuation du pouvoir et du contrôle » sur leur ex-conjointe par des pères auteurs de violences.
Entre temps, l’avocate de Lise a tenté de faire rouvrir la plainte concernant les violences qu’avaient subies William le 30 octobre 2018. La plainte étant classée par le Procureur, elle écrit au Procureur général pour lui demander de réexaminer les faits. On est en juillet 2019. Le Procureur général ne répondra qu’en novembre 2020, expliquant que le dossier s’est perdu (comme cela avait le cas de la plainte qu’avait déposée Lise en 2014 pour violences conjugales). L’avocate de Lise a heureusement gardé une copie du dossier qu’elle renvoie aux services du Procureur général. Il répond au début de l’année 2021 qu’il n’entend pas rouvrir la plainte, considérant qu’il s’agit de « violences involontaires ». C’est donc de nouveau et toujours la version du père, qui est retenue. En effet, ce dernier reconnaît seulement avoir poursuivi William, l’avoir empoigné et lui avoir déchiré son T-shirt. Cela n’explique pas les lésions de plusieurs centimètres que l’enfant présentait autour du cou, au torse et à la joue, lésions constatées dans le certificat médical hospitalier, que les magistrats écartent apparemment volontiers de leur approche de la situation.
Lise est épuisée par ce combat, qui dure depuis 7 années et dans lequel elle a également laissé toutes ses économies : depuis son ordonnance de protection, elle a dépensé plus de 23 000€ en factures d’avocat. Elle envisage de vendre sa voiture pour se pourvoir en cassation. Cela fait plus de 6 ans qu’elle a demandé le divorce pour faute, suite à la condamnation pénale de son ex-conjoint et père de ses enfants. Pour l’instant elle n’a eu qu’un euro symbolique de dommages et intérêt pour les violences subies.
Parallèlement, elle a constitué un dossier pour saisir le Défenseur des droits de l’enfant, qui a affirmé des engagements forts concernant la lutte contre les violences sur mineurs et la prise en compte de leur parole.
Les Centres Médiatisés, également désignés comme « Espaces neutres », sont des structures où parents et enfants peuvent se rencontrer, sous le contrôle de médiateurs, qui sont là pour garantir l’application des décisions de justice mais également veiller à la sécurité de tous.
Les personnes accueillies sont principalement des familles dans des situations de conflits conjugaux. Alors le temps que les choses évoluent en mieux, c’est dans ces espaces que les membres de ces familles se croisent et se parlent.
Ces familles y sont dirigées souvent par un Juge aux affaires familiales et leur accueil ne dépasse pas 6 mois, renouvelable une fois. Il s’agit donc d’une médiation temporaire. Nous ne remettons pas en question cet aspect des centres médiatisés, dans ce cadre précis.
En revanche, cet accueil qui est vertueux pour une famille dont les parents sont dans une situation de conflit post séparation ne l’est PAS DU TOUT dans le cadre où il existe de la violence intra-familiale.
Les centres médiatisés apportent de la violence supplémentaire
En effet, quand le juge suspecte un danger potentiel au cours de son enquête, confronter un enfant, même une heure, au parent qu’il accuse de comportements malfaisants est très dommageable psychologiquement et également dangereux, même pour l’autre parent. Or c’est une réalité bien trop courante. Les enfants qui dénoncent un parent violent se voient contraints de revoir ce dernier dans les centres médiatisés. La situation n’est pas réglée, leur peur est toujours très présente… Pourtant on les oblige à recroiser la personne qui les a maltraités.
Jamais on obligerait une victime d’agression ou de viol à aller rencontrer son agresseur toutes les semaines. L’intérêt DE l’enfant doit primer sur le droit A l’enfant !
On le sait, un adulte violent ne peut pas être un bon parent. On aimerait bien que ce soit le cas, mais l’histoire de la violence intra-familiales prouve l’inverse. Et aucune rencontre parent/enfant en centre médiatisé ne changera cela, par magie. Seul un travail psychanalytique long et profond peut briser le cycle de la violence. Les visites imposées par la Justice ne font qu’apporter d’autres traumatismes et rajoutent à la violence déjà subie.
Les enfants ont déjà payé. Continuer de leur demander l’obéissance et le respect envers leur parent toxique, c’est de la maltraitance psychologique, juridique, de l’âgisme, de la discrimination et un manque cruel d’humanité. C’est nourrir un dogme éculé sur le besoin de maintenir un lien parent enfant à n’importe quel prix. Non. Le droit à la parentalité ne peut être supérieur à ses devoirs. Le parent violent “mériterait “ ces visites dont on ne peut pas le priver!!! Ses droits sont inaliénables, inscrits dans le marbre tandis que ses enfants n’ont pas d’échappatoire. Ils doivent subir, subir et re-subir.
Même dans les cas de violence avérée, où la justice a tranché et a mis l’autre parent sous protection, les enfants doivent encore rencontrer le parent violent. Si on protège l’autre parent, alors les enfants doivent également être protégés. Pourquoi on interdirait un parent d’approcher l’autre parent mais on l’autoriserait à voir ses enfants et maintenir son emprise ?
Neutres, vraiment ?
De plus, les centres médiatisés ne sont pas des lieux neutres. Bien au contraire, ils ont du pouvoir car ils font partie des rouages de la justice. Ils peuvent émettre un rapport destiné au Juge aux Affaires Familiales. Dans celui-ci, les médiateurs rédigeront un compte rendu détaillé du déroulement des visites, des éventuels dysfonctionnements, des améliorations constatées… Et c’est à partir de ce rapport que le juge, souvent débordé, rendra son jugement et prendra des décisions cruciales. Ils sont l’oeil du Juge et leurs propos ont un grand pouvoir d’aide à la décision.
Or les médiateurs ne sont pas assez bien formés. Ils manquent d’expertise sur les mécanismes d’emprise, de manipulation ou sur les mécanismes de contrôle coercitif. Pas de chance, c’est justement le point fort des parents violents ou incesteurs.
Nous ne comptons plus les rapports des médiateurs expliquant au juge que le parent toxique semble très gentil, très aimant alors qu’ils dénoncent le parent protecteur comme… surprotecteur. Ce dernier finit par devoir prouver son innocence, gérer ses enfants paniqués qui ne veulent pas venir, éviter de croiser l’autre parent qui les effraie tous, faire comprendre qu’il est le parent qui protège… Mission presque impossible, surtout quand on est déjà bien fragilisé, qu’on a perdu ses repères et sa confiance en soi. Et quand en face, on a des gens manipulés car pas du tout formés à l’emprise.
La France est en retard sur les bonnes pratiques pour protéger l’enfant et le parent victimes notamment dans le cadre de l’appréhension de la violence intra-familiale. Plusieurs pays européens ont ratifié la Convention d’Istanbul depuis des années. Celle-ci exige des juges de prendre en considération tout incident connu de violence domestique lors de la décision des droits de garde ou de visite ET de donner la priorité à la sécurité des victimes de violence. En Espagne, la loi de juin 2021 interdit tout droit de visite à un parent condamné pour violence. Suivons son exemple !
Nous demandons la fin des espaces neutres pour les familles au cœur de violences intrafamiliales, car en matière de protection de l’enfance, la neutralité pénalise toujours les victimes.
Il faut prendre parti et se placer du côté des victimes. Les centres médiatisés doivent devenir des espaces protecteurs, qui prennent en compte la dangerosité physique et psychologique du parent toxique. Les professionnels formés à l’emprise et au contrôle coercitif pourront annuler les visites en cas de souffrance ou d’instrumentalisation de l’enfant.
Quand on porte plainte contre un conjoint ou un parent violent pour violences familiales et que l’on cherche à protéger son enfant, les choses ne se déroulent pas toujours comme on l’imaginait. On espère que la Justice nous aidera mais au final, on se retrouve face à des difficultés supplémentaires.
Des parents protecteurs nous ont fait part de ces quelques pistes, elles ont fonctionné pour eux mais ça ne signifie pas qu’elles seront adaptées pour tout le monde.
Ces actions ne sont donc pas des solutions miracles. Ce sont des pistes, des idées qu’on évoque car elles ont parfois aidé des victimes. Alors on se dit que, peut-être, elles pourraient en aider d’autres qui n’y songent pas.
Violences familiales , 5 conseils auxquels on ne pense pas souvent et qui peuvent aider
1 – Invoquer l’état de nécessité
Selon l’article 122-7 du Code Pénal :
« N’est pas pénalement responsable la personne qui, face à un danger actuel ou imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien, sauf s’il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace. »
Dans le cadre de violences familiale et de non représentation d’enfant, il peut être opportun d’invoquer cet article : les règles de droit habituelles paraissent parfois inadaptées à la situation, et le parent protecteur y déroge de façon impérieuse pour protéger son enfant. Quelques parents protecteurs ont été relaxés en invoquant l’état de nécessité, nous espérons que cela finira par faire jurisprudence.
2 – Faire intervenir un huissier pour chaque non représentation d’enfant
Si vous faites de la non représentation d’enfant dans le cadre de violences familiales pour protéger votre enfant d’un parent violent, ou parce que votre adolescent refuse d’aller chez l’autre parent malgré vos tentatives d’accompagnement, n’hésitez pas à faire constater par un huissier ce refus.
C’est une démarche onéreuse mais cet officier ministériel assermenté pourra témoigner de l’état de vos enfants, le refus, la peur, les tremblements, bref le fait qu’ils soient terrorisés ou simplement déterminés à ne pas aller chez son autre parent. Son témoignage fera foi juridiquement et on ne pourra moins facilement vous accuser de manipulation.
3 – Faire intervenir un huissier pour enregistrer la parole de vos enfants
De la même manière, il peut être très efficace de faire recueillir la parole de vos enfants par un constat d’huissier, afin que leurs déclarations aient une valeur incontestable juridiquement.
Vous pouvez aussi demander à ce qu’ils valident l’authenticité des différents éléments que vous apportez comme preuve : vidéos, textos, photos, dessins, audio, etc…
Nous sommes effarés du nombre de preuves dans le cadre de violences familiales confiées à la Justice qui sont « perdues »…
Homologuer les preuves permet qu’elles ne disparaissent pas mystérieusement.
4 – Soulever une Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC)
Il peut être très intéressant de soulever une QPC avec l’aide de votre avocat. Celle-ci consiste à contester la conformité à la Constitution d’une loi. Si la Cour de cassation transmet la QPC au Conseil constitutionnel, ce dernier devra se pencher sur la validité de la loi remise en question.
Des QPC ont déjà été soulevées concernant la non représentation d’enfant, une prochaine concernant l’enfant résistant sera soulevée en janvier. Imaginez un monde qui protègerait des violences familiales, où il serait normal de ne pas remettre un enfant à un parent dont l’enfant dénonce la violence…
Des QPC ont déjà été soulevées concernant la non représentation d’enfant.
Tous les mineurs en âge de discernement (à partir de 7/8 ans) peuvent bénéficier gratuitement de l’assistance d’un avocat. Cela permet qu’ils soient mieux représentés mais également, cela limite les risques d’accusations d’aliénation parentale, ou les risques de requalifier des violences intra-familiales en « conflit parental ».
Cela permet de se concentrer sur l’enfant, ce qu’il vit, ce qu’il ressent, ce qu’il souhaite.
Ce qu’on appelle le Téléphone Grave Danger est un dispositif de protection à destination des personnes menacées par leur ancien conjoint ou compagnon — en immense majorité, presque toujours des femmes.
Concrètement, c’est un smartphone géolocalisé en permanence, équipé d’une touche spéciale qui est connectée à un organisme d’assistance à personnes en danger. Grace à un système de captation des voix, la victime n’aura pas forcément à le porter à son oreille pour être entendue.
Une bonne idée qui mériterait plus de moyens pour être réellement efficace.
Le premier téléphone du genre est apparu en 2009 mais c’est la loi de 2014 qui l’a institutionnalisé. En 2020, on comptait 1200 personnes bénéficiant de ce dispositif.
Comment obtenir un Téléphone Grave Danger ?
Seul un procureur de la République peut accorder un téléphone Grave Danger, pour une durée de 6 mois, renouvelable. Avant la loi de 2019, les conditions d’obtention étaient assez restrictives (la victime et l’auteur ne devaient pas cohabiter, ce qui excluait beaucoup de personnes + une interdiction judiciaire pour l’auteur d’entrer en contact avec la victime devait déjà avoir été obtenue).
Depuis 2019, un amendement précise qu’un téléphone peut être attribué en cas de danger avéré et imminent, même si aucune des procédures d’éloignement n’a encore abouti, ou si l’ex-conjoint est en fuite.
Cette attribution n’est toutefois pas automatique, les députés craignant qu’une attribution trop large nuise à l’efficacité du protocole de protection. Divers critères sont donc pris en compte, comme la durée et la répétition des violences dénoncées, l’ancienneté de la menace ou du harcèlement, les antécédents pénaux, le risque de réitération des faits, l’isolement de la victime, etc. Pas si simple.
Ensuite, un filtre administratif supplémentaire se rajoute… Un comité de pilotage départemental se réunit tous les 6 mois pour gérer les dossiers. C’est trop peu. Il faudrait que ces réunions aient lieu tous les 2 mois et que le nombre de téléphones disponible soit augmenté.
Le téléphone grave danger a déjà démontré qu’il pouvait être un outil précieux pour les victimes. Mais il reste trop peu attribué. Pire de réelles inégalités existent dans les différentes régions en France.
On avance dans le bon sens toutefois.
Le gouvernement s’est donné un objectif : déployer d’ici la fin de l’année 3000 téléphones grave danger.
2584 téléphones étaient déployés à la date du 30 septembre 2021, contre un peu plus de 2000 le 1er juillet.
72% d’entre eux, soit 1849 téléphones, sont attribués à des victimes.
Néanmoins, en plus d’augmenter le nombre de Téléphones Grave Danger distribué, d’autres actions pourraient être mises en place en parallèle afin de soutenir l’efficacité de ce dispositif.
Les agresseurs devraient êtreéquipés d’un bracelet électronique (voire chaque partie, pour plus d’efficacité). Cette précaution est peu imposée par les juges actuellement, même dans le cas d’une ordonnance de protection. Pourtant le bracelet électronique (ou bracelet anti rapprochement) a fait ses preuves en Espagne où le nombre de féminicides a significativement baissé. Idéalement, il permet de contacter à la fois l’émetteur, la victime et les forces de police.
Une prise en charge en amont des personnes violentes serait plus pertinente. Les besoins ne manquent pas. Comme les faire participer à des stages de sensibilisation aux conséquences pénales, relationnelles, et familiales de leurs actes. Rendre obligatoire un recours à l’analyse psychiatrique. Ou imposer un dispositif d’hébergement tiers au compagnon violent pour protéger la victime, etc…
Mieux former les policiers à la gestion des violences intra-familiales pour une meilleure évaluation du danger et de fait une meilleure prise en charge.
Rendre les fichiers des auteurs de violences conjugales plus accessibles à tous les services publics compétents.
Quelques bémols sur les téléphones Graves Dangers
Le téléphone grave danger devrait être étendu, même si il existe cependant quelques bémols dont les victimes nous ont fait part.
Détenir le téléphone grand danger représente tout à la fois un soulagement d’avoir été entendue par la justice et reconnue comme une victime en grave danger ; mais cela donne une charge mentale en plus à la victime. Celle-ci doit tout le temps surveiller son téléphone, vérifier qu’il est bien chargé, penser à le prendre en permanence avec soi, même lorsque l’on va descendre les poubelles.
Bref il faut véritablement se greffer son téléphone.
Et puis encore faut-il trouver son téléphone face à un danger, on peut perdre ses moyens.
🔸 Enfin il faut bien réaliser que c’est une surveillance en permanence de tous les déplacements, il faut d’ailleurs penser à donner son adresse sur la plateforme téléphonique à chaque fois que l’on part en déplacement (vacances dans la famille par exemple).
Du coup au lieu que ce soit le coupable qui soit tracé et suivi, c’est la victime qui est surveillée. Est-ce bien normal ?
Mais le téléphone grave danger, même si il n’est pas l’idéal, représente un moyen de protection très utile.
🔸 Selon les victimes de violences conjugales l’idéal reste le bracelet anti rapprochement, mais pour cela il faut obtenir l’accord de l’agresseur, ce qui n’est pas normal.
🔸 Précisons qu’au préalable, pour obtenir le téléphone grave danger, il y a une évaluation qui est réalisée soit par Solidarité Femmes, soit par le CIDFF, soit encore par France Victimes, selon les régions, le dispositif est remis à l’une de ces trois associations.
Ce qu’on appelle le protocole féminicide est un protocole expérimental qui a fait ses preuves et qui permet de soutenir les enfants après un féminicide. Il n’est hélas pas déployé partout en France alors qu’il devrait être généralisé, c’est urgent !
Les enfants, secondes victimes des féminicides
Lorsqu’un homme tue sa compagne souvent après des années de violences intra-familiales, il laisse parfois derrière lui des enfants abimés, désormais orphelins de maman, voire de parents quand l’homme se suicide dans la foulée. Ces victimes esseulées doivent affronter un traumatisme immense et sont en grande souffrance. Les protéger et les prendre en charge semble une évidence mais hélas, ce n’est que très récemment qu’un protocole expérimental s’est mis en place dans le département de Seine-Saint-Denis, en 2014.
Différents protagonistes se sont mobilisés pour protéger les enfants victimes, qu’un partenariat salvateur a été initié pour la première fois dans le département de Seine-Saint-Denis, en 2014, entre :
le parquet du tribunal de grande instance de Bobigny,
le Centre hospitalier intercommunal Robert Ballanger d’Aulnay-sous-Bois,
le Conseil départemental de Seine-Saint-Denis via l’Observatoire des violences envers les femmes,
et le service de l’aide sociale à l’enfance.
En quoi consiste ce protocole féminicide ?
Depuis, là-bas, lorsqu’un féminicide laisse des enfants désemparés et traumatisés, un protocole s’enclenche pendant les jours suivants, actif jour et nuit.
Le procureur de la république prend en urgence une ordonnance de placement provisoire des enfants. Ils sont alors confiés au service de l’aide sociale à l’enfance pour évaluation et hospitalisation 3 à 8 jours.
Une accompagnante « grand-mère » formée est présente 24/24 pour assurer une présence continue et rassurante auprès des enfants.
Le service de pédopsychiatrie assure également l’interface avec le tribunal, la police, les professionnels des services de protection de l’enfance, etc.
L’idée est d’aller vite pour mettre à l’abri les enfants qui ont été témoins (ou non) du féminicide. Si tout le monde se félicite que ce protocole existe dans le 93, il demeure un protocole expérimental qui peine à se déployer en France ! Seul le Rhône, depuis avril 2021 seulement, a mis en place à son tour ce protocole féminicide, 24h/24 et 7j/7.
Déployons ce protocole d’aide aux victimes de féminicide
Dans le reste du pays, à la suite d’un féminicide, c’est souvent à un proche que les enfants sont confiés, dans l’urgence, sans accompagnement spécifique. Sans surprise, les professionnels observent ensuite de grandes difficultés chez ces enfants, notamment des troubles comportementaux et anxio-dépressifs. Sachant que dans 50% des cas, les meurtres se produisent devant les enfants, alors, face à ce traumatisme supplémentaire, une réelle prise en charge ne semble pas absurde.
La prise de conscience des répercussions des féminicides sur les enfants est encore trop lente. Pour preuve, ces derniers ne sont passés d’un statut de « témoin » à celui de « victime » qu’en 2018 !
On s’interroge. Comment ces enfants grandiront-ils ? De quelles prises en charge psychologique et financière bénéficieront ces fratries abimées pour se reconstruire ? Ceux qui sont déjà passés par ce douloureux chemin témoignent de leurs difficultés immenses régulièrement dans les médias, et pourtant rien ne bouge.
🔸 Il est urgent de déployer le protocole féminicide dans toute la France. Il ne réglera pas tout mais sera un accompagnement d’urgence salutaire. Ne laissons plus ces enfants affronter seuls des féminicides dévastateurs, bien trop violents pour une jeune vie.
La publication de cet extrait tiré de Mauvais Père, mon témoignage sur le faux syndrome appelé « SAP » publié par Les Arènes en 2016, vise à démontrer qu’une plaidoirie qui intègre des éléments « psy » (en présentant le fonctionnement pathologique et les mécanismes de défense propres à ces personnalités) peut aussi porter ses fruits en sensibilisant les juges à la dangerosité du parent aliénant/agresseur.
C’est en effet grâce à cette plaidoirie que la Cour d’appel de Rennes a très exceptionnellement décidé qu’il fallait protéger ma fille Gwendolyn du parent agresseur (le vrai parent aliénant) en empêchant son retour aux Etats-Unis.
Nous avions, après de longs débats, décidé d’un changement radical de tactique. Quand le combat est manifestement perdu, il faut changer 3 choses : le terrain, c’est ce que j’avais fait en quittant New York ; mais aussi, les règles du jeu, et les armes. Les juges aux affaires familiales détestent les accusations trop virulentes, mais nous possédions la matière pour les appuyer. Nous étions bien décidés à dessiller leurs yeux et leur démontrer que la personnalité psychotique de Julian interdisait absolument tout retour de Gwendolyn auprès de lui.
Palais des ducs de Bretagne, Rennes, 17 mars. Les trois juges d’appel, le président, et ses deux conseillers, étaient assis en face de moi sur une estrade. Derrière eux, des boiseries somptueuses représentaient des scènes du VIIème siècle. Les magistrats attendaient impassibles que tout le monde prenne place. Deux étudiantes en droit prirent place aussi silencieusement que possible dans notre dos. Les trois juges en robe de velours, capés de leurs mantilles d’hermine si solennelles, ne quittaient pas les protagonistes des yeux, ils semblaient étudier chacune de nos expressions. Le président se démarquait par sa prestance et ses traits aristocratiques. Il m’impressionnait : tremblante, sans doute recroquevillée, j’étais écrasée d’anxiété devant ce demi-dieu qui tenait ma vie et celle de Gwendolyn entre ses mains. [..]
Je connaissais la plaidoirie de Maître Tollides par cœur. Nous avions passé des jours, des nuits à peser chaque phrase, chaque terme, chaque concept. Nous avions tiré les leçons de la première instance et, cette fois-ci, nous étions bien plus préparés, plus offensifs. Nous y avions intégré le fruit de nos analyses « psy » sur Julian : sa violence, ses projections, sa folie, sa paranoïa. Tout s’était soudain éclairci dans mon esprit, et la plaidoirie de maître Tollides avait été rédigée pour sensibiliser les juges d’appel à la dangerosité de Julian. Tarnec écoutait l’argumentation de mon avocat, tête baissée. A ses côtés, Julian, dont le coude était posé sur le dossier de sa chaise, était fébrile. Il ne cessait de s’agiter. Maître Tollides continuait de rappeler l’historique de l’affaire. Sa voix portait et sa déclamation spontanée et élégante captait l’attention de l’audience.
– Madame Bréhat a toujours eu le souhait que son enfant s’épanouisse lors des périodes passées en son domicile, mais également lors des séjours chez son père. Elle n’a toutefois pu que constater que sa fille manifestait de plus en plus de troubles lorsqu’elle devait se rendre chez M. Jones, exprimant des craintes de plus en plus fortes, ce sentiment de peur s’accompagnant notamment de crises de tremblements. L’enfant faisait part à sa mère d’épisodes de plus en plus violents à son retour. Malgré cela, Mme Bréhat a toujours respecté les termes des décisions rendues, tentant d’apaiser l’enfant, de la convaincre. Les craintes de Mme Bréhat ont redoublé lorsque la thérapeute de l’enfant lui a fait part des pensées suicidaires de Gwendolyn, provoquées par les périodes passées en compagnie de son père et de la seconde épouse de celui-ci. Lors de son séjour en France, en été, elle a décidé de suivre les conseils du docteur Richt, et de consulter une psychologue, afin d’avoir un second avis. Madame Roufignac, dont les conclusions seront également évoquées ci-dessous, a confirmé le bien fondé des craintes éprouvées par la concluante. L’experte a considéré devoir également faire immédiatement un signalement au Parquet. Rappelons que les experts, psychologues et médecins français sont soumis à un code de déontologie strict, et qu’ils peuvent être sanctionnés, professionnellement et pénalement, en cas de faux signalement ou de certificat de complaisance. M. Jones n’hésite pourtant pas à mettre systématiquement en doute les rapports et certificats produits ainsi que la compétence de leurs auteurs…
– C’est ainsi que le retour de Gwendolyn a été ordonné, mais au domicile de sa mère. Cette décision ne peut être exécutée, Mme Bréhat n’ayant plus de domicile à New York. Le premier juge, lorsqu’elle évoque une « réalité souvent plus contrastée » quant au parent désigné comme seul responsable par l’autre, et inversement, s’appuie sans aucun doute sur sa longue expérience des conflits parentaux. Mme Bréhat entend pourtant démontrer que le cas d’espèce est extrêmement complexe, qu’il sort du commun et doit être jugé comme tel. L’auditoire de maître Tollides était manifestement captivé, et Julian, que je ne cessais d’observer, semblait progressivement perdre contrôle de lui-même. Ses yeux brillants s’agitaient frénétiquement et je remarquais que les doigts de sa main droite ne cessaient de pianoter sur sa cuisse.
– Monsieur Jones choisit, adopte et impose la réalité qui lui convient. Il est alors profondément convaincu et certainement très convaincant. Mais il peut en changer tout aussi rapidement et peut se montrer particulièrement irascible envers qui veut s’opposer à lui… Tollides respira, il se tut, ferma les yeux et grimaça. Il y avait dans cette grimace de la douleur.
– Irrascible envers qui s’oppose à SA vision de la réalité… notamment sa fille, hélas, qui a ce talent, malgré son jeune âge, de discerner le vrai du faux ! J’observai toujours Julian et je me demandai si je n’étais pas victime d’une hallucination. Sa mâchoire se crispait, son sourire vainqueur se muait en un rictus agressif, son œil devenait effrayant. Julian, le « surdoué », qui maîtrisait toujours tout et montrait un visage parfait devant tous les intervenants de New York, semblait prêt à exploser à tout moment. Les juges le fixaient et je crus lire du dégoût dans le regard du président. Je retins ma respiration. Maître Tollides poursuivait sa plaidoirie. Là où Tarnec serrait et écrasait sur sa table un poing vengeur, Tollides tournait vers tous une main ouverte, bienveillante. Là où Tarnec dressait et faisait tournoyer un doigt accusateur, Tollides joignait ses paumes dans une prière humble. Tarnec, c’était Mussolini. Tollides, c’était Gandhi, Luther King, Mandela. Soudain, les yeux de maître Tollides se firent durs.
– Par ailleurs, l’argumentation de M. Jones devant la Cour laisse transparaître, en de multiples points, une violence et une haine larvée très inquiétantes. Le harcèlement judiciaire incessant, les menaces, le chantage envers le docteur Richt en sont des signes éloquents. Rappelons qu’au mépris des intérêts de l’enfant, il a cherché à suspendre le travail du docteur Richt qu’il accuse de complicité à un enlèvement d’enfant. Il a récemment poursuivi ce harcèlement par voie judiciaire puisque le docteur Richt a dû répondre à de fausses allégations devant le tribunal disciplinaire de l’Etat de New-York. Elle vient d’en être totalement blanchie faute d’accusations et d’argumentation sérieuse. Il convient de rappeler qu’un nouveau signalement a été fait par le chef de l’unité pédiatrique de l’hôpital de Quimper expliquant que l’enfant a été « admise pour idées noires, pensées suicidaires » et qu’elle présentait « un état de détresse psychique important » provoquant une « crise d’angoisse avec tremblements, polypnée » Comment M. Jones peut-il négliger, comme il le fait, la douleur de son enfant ? L’enfant a déclaré au juge « j’aime un petit peu mon père, presque pas. » Elle a dit à son père depuis, lors de leur dernier contact téléphonique : « je veux bien que tu sois mon père, si tu arrêtes de mentir et de dire que je mens. » Une enfant entièrement sous l’emprise de sa mère, comme il est allégué, serait incapable d’une telle nuance. L’absence totale d’ambivalence de l’enfant aurait été le principal signe du prétendu « syndrome d’aliénation parentale » allégué par le père, et lui seul, sans pièce à l’appui. Ce n’est donc manifestement pas le cas ! Je fixai toujours Julian, de plus en plus incrédule. L’agitation nerveuse de sa jambe droite, le rictus qui déformait son visage et sa mâchoire serrée composaient un tableau de plus en plus terrifiant. Les juges ne le quittaient pas des yeux. Julian se tourna alors vers moi. Ses yeux exorbités reflétaient toute sa haine. Je frissonnai. Effarée, je me retournai vers les étudiantes assis derrière moi. Les deux jeunes filles me sourirent simultanément. Il y avait dans leur regard de la compassion.
– La personnalité de M. Jones est particulièrement inquiétante. Monsieur Jones montre deux visages très différents selon les interlocuteurs et les circonstances : le tyran domestique se cache derrière une façade sociale particulièrement altruiste et pacifique de militant humaniste. Mais cette construction elle-même devient caricaturale, grossièrement mensongère, et vire même au délire prophétique : la lecture des sites mis en ligne par M. Jones pourrait faire rire en dehors du présent contexte : vous verrez par vous-mêmes, messieurs les juges. M. Jones a une vision, une mission : il va maintenant « illuminer le monde » pour l’unifier. L’expression sur le visage de Julian me bouleversa soudain. Je la reconnus. Je m’attendais presque à ce qu’il hurle en ma direction la phrase qui m’avait alertée sur sa folie lorsque je lui avais jeté un bonnet sur l’épaule : « Tu m’as blessé ! J’ai eu l’impression que le ciel me tombait sur la tête ! » Julian dévoilait sa face sombre, celle qu’il prenait généralement bien soin de cacher et je ne pouvais m’empêcher de trembler. Je claquai des dents, conditionnée sans doute. Mais les yeux du président du tribunal, posés sur moi, reflétaient un mélange d’empathie et de pitié à mon égard. Il me croyait ! Tarnec secoua la tête faiblement, mais le cœur n’y était plus. Il semble avoir jeté les gants.
Brusquement, le discours de Tollides s’accéléra, sa voix se fit forte. Il lança l’assaut, et, soudain, les mots claquèrent, les répliques assassines fusèrent, les phrases sifflèrent, les arguments explosèrent. La violence et la peur avaient envahi la salle, palpables, incarnées. La violence de Julian, notre terreur. Le chaos de Julian. Sa folie aussi. Mes yeux s’emplirent de larmes et ma vue se brouilla.
– Par ailleurs, comme on l’observe souvent dans ce type de personnalité, M. Jones prête facilement aux autres (il projette sur eux) ses sentiments les plus agressifs, ses travers les moins acceptables. On a vu ainsi qu’il attribue d’abord des troubles psychiques à Mme Bréhat. On a vu qu’il accuse Mme Bréhat d’entretenir des rapports asphyxiants, aliénants et d’emprise avec son enfant alors que c’est lui qui a une dépendance malsaine vis-à-vis de sa fille qu’il a tentée de mettre sous son emprise. On a vu qu’il a initié toutes les dernières procédures, y compris en utilisant des méthodes condamnables en France (enregistrement caché) et les fausses déclarations, mais c’est Mme Bréhat qui est pour lui « procédurière. » On a vu dans plusieurs témoignages et signalements qu’il tente régulièrement d’imposer sa réalité propre à sa fille, mais c’est Mme Bréhat qu’il accuse d’implanter des idées dans le cerveau de Gwendolyn ! On a de multiples exemples (pièces à l’appui) de ses mensonges qui deviennent un style de vie, mais c’est Mme Bréhat qui est qualifiée de « professionnelle de la manipulation. Encore une fois, M. Jones est profondément convaincu de ce qu’il avance, et donc souvent très convaincant. Mais il ne fait qu’alléguer : c’est Mme Bréhat seule qui produit des témoignages et signalements concordants des professionnels et experts qui ne peuvent être ignorés.
Le regard que lança Julian à mon avocat me stupéfia et fit frémir bruyamment les deux étudiantes en droit : son agressivité manifeste n’avait pas échappé aux trois juges, qui ne le lâchaient plus, froids, glaciaux, glaçants, eux qui voyaient devant eux, sur le visage de Julian, se dessiner la folie, la violence, le mensonge, le portrait exact qu’était en train de dresser, mot après mot, phrase après phrase, un époustouflant Tollides. Le masque était tombé. Julian affichait désormais un rictus haineux permanent, ses yeux étaient écarquillés, perdus, paniqués. C’était maintenant lui la bête traquée. Il savait qu’il avait perdu, mais, pour une fois, il était totalement impuissant. Il ne pouvait même plus soutenir le regard des juges, et cherchait désespérément une expression rassurante, un signe de confiance chez son avocat. Or Tarnec avait posé un coude sur son pupitre, et de deux doigts, il soutenait un front devenu trop lourd, il hochait ostensiblement la tête. Le ténor des ténors semblait accablé. Je n’y croyais pas. Tout cela semblait irréel.
– A la lumière de tout ceci, il n’est tout simplement pas concevable, sans avoir au moins pris la précaution d’une expertise d’envisager le simple retour de Gwendolyn au domicile paternel. Maître Tollides était immobile. Il respira longuement, puis se retourna vers moi. Il avait l’air épuisé. Mais son visage, pourtant grave, dégageait une impressionnante sérénité. Les deux étudiantes trépignaient, elles me souriaient, elles paraissaient folles d’enthousiasme. Tout cela semblait chimérique. Se pouvait-il vraiment… ?
Les mots violents employés par Tarnec me firent soudain comprendre qu’il avait entamé sa plaidoirie. « Madame Bréhat… une manipulatrice hors pair… mère pathologique et dangereuse qui n’hésite pas à laver le cerveau de sa fille pour en découdre avec le père… » Sa voix emportée, son ton coléreux et son argumentation désordonnée, quelle contraste avec la musique, la partition jouée par maître Tollides ! J’observai Julian. C’était lui qui maintenant s’agitait sur sa chaise comme un insecte dans une toile d’araignée. Je ne savais que trop bien ce qu’il ressentait, ce besoin irrépressible de réagir ou de fuir, tout en ayant pleinement conscience que ses propres réactions resserrent inexorablement le piège, que l’on provoque sa propre perte et que la peur que l’on ressent stimule notre tortionnaire. Le plus diabolique dans cette situation, le plus pervers, c’est la lucidité de la victime. A le voir si pitoyable, j’avais presque pitié de Julian… Presque. Quel retournement ! Il me semblait que les mouches avaient changé d’âne. J’étais perdue dans mes émotions, dans un délicieux brouillard, et je n’entendais plus rien de la plaidoirie de Tarnec. J’étais déjà loin.
Romancière, psychanalyste et psychothérapeutefrançaise, Caroline Bréhat a travaillé quinze ans à l’ONU et dix ans comme journaliste à New York.
Son roman autobiographique « J’ai aimé un manipulateur » (Éditions des Arènes), traduit en douze langues et son livre témoignage « Mauvais Père » (Éditions des Arènes) traitent tous deux du sujet des pervers narcissiques et des parents destructeurs.
Son dernier livre s’intitule « Les mal aimées » . Elle y aborde sous un autre angle la violence familiale transgénérationnelle, ce sujet que cette psychanalyste maitrise si bien à titre personnel et professionnel. Vous pouvez retrouver son interview dans notre article «Rencontre avec Caroline Bréhat ».