Quand on porte plainte contre un conjoint ou un parent violent pour violences familiales et que l’on cherche à protéger son enfant, les choses ne se déroulent pas toujours comme on l’imaginait. On espère que la Justice nous aidera mais au final, on se retrouve face à des difficultés supplémentaires.
Des parents protecteurs nous ont fait part de ces quelques pistes, elles ont fonctionné pour eux mais ça ne signifie pas qu’elles seront adaptées pour tout le monde.
Ces actions ne sont donc pas des solutions miracles. Ce sont des pistes, des idées qu’on évoque car elles ont parfois aidé des victimes. Alors on se dit que, peut-être, elles pourraient en aider d’autres qui n’y songent pas.
Violences familiales , 5 conseils auxquels on ne pense pas souvent et qui peuvent aider
1 – Invoquer l’état de nécessité
Selon l’article 122-7 du Code Pénal :
« N’est pas pénalement responsable la personne qui, face à un danger actuel ou imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien, sauf s’il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace. »
Dans le cadre de violences familiale et de non représentation d’enfant, il peut être opportun d’invoquer cet article : les règles de droit habituelles paraissent parfois inadaptées à la situation, et le parent protecteur y déroge de façon impérieuse pour protéger son enfant. Quelques parents protecteurs ont été relaxés en invoquant l’état de nécessité, nous espérons que cela finira par faire jurisprudence.
2 – Faire intervenir un huissier pour chaque non représentation d’enfant
Si vous faites de la non représentation d’enfant dans le cadre de violences familiales pour protéger votre enfant d’un parent violent, ou parce que votre adolescent refuse d’aller chez l’autre parent malgré vos tentatives d’accompagnement, n’hésitez pas à faire constater par un huissier ce refus.
C’est une démarche onéreuse mais cet officier ministériel assermenté pourra témoigner de l’état de vos enfants, le refus, la peur, les tremblements, bref le fait qu’ils soient terrorisés ou simplement déterminés à ne pas aller chez son autre parent. Son témoignage fera foi juridiquement et on ne pourra moins facilement vous accuser de manipulation.
3 – Faire intervenir un huissier pour enregistrer la parole de vos enfants
De la même manière, il peut être très efficace de faire recueillir la parole de vos enfants par un constat d’huissier, afin que leurs déclarations aient une valeur incontestable juridiquement.
Vous pouvez aussi demander à ce qu’ils valident l’authenticité des différents éléments que vous apportez comme preuve : vidéos, textos, photos, dessins, audio, etc…
Nous sommes effarés du nombre de preuves dans le cadre de violences familiales confiées à la Justice qui sont « perdues »…
Homologuer les preuves permet qu’elles ne disparaissent pas mystérieusement.
4 – Soulever une Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC)
Il peut être très intéressant de soulever une QPC avec l’aide de votre avocat. Celle-ci consiste à contester la conformité à la Constitution d’une loi. Si la Cour de cassation transmet la QPC au Conseil constitutionnel, ce dernier devra se pencher sur la validité de la loi remise en question.
Des QPC ont déjà été soulevées concernant la non représentation d’enfant, une prochaine concernant l’enfant résistant sera soulevée en janvier. Imaginez un monde qui protègerait des violences familiales, où il serait normal de ne pas remettre un enfant à un parent dont l’enfant dénonce la violence…
Des QPC ont déjà été soulevées concernant la non représentation d’enfant.
Tous les mineurs en âge de discernement (à partir de 7/8 ans) peuvent bénéficier gratuitement de l’assistance d’un avocat. Cela permet qu’ils soient mieux représentés mais également, cela limite les risques d’accusations d’aliénation parentale, ou les risques de requalifier des violences intra-familiales en « conflit parental ».
Cela permet de se concentrer sur l’enfant, ce qu’il vit, ce qu’il ressent, ce qu’il souhaite.
Ce qu’on appelle le Téléphone Grave Danger est un dispositif de protection à destination des personnes menacées par leur ancien conjoint ou compagnon — en immense majorité, presque toujours des femmes.
Concrètement, c’est un smartphone géolocalisé en permanence, équipé d’une touche spéciale qui est connectée à un organisme d’assistance à personnes en danger. Grace à un système de captation des voix, la victime n’aura pas forcément à le porter à son oreille pour être entendue.
Une bonne idée qui mériterait plus de moyens pour être réellement efficace.
Le premier téléphone du genre est apparu en 2009 mais c’est la loi de 2014 qui l’a institutionnalisé. En 2020, on comptait 1200 personnes bénéficiant de ce dispositif.
Comment obtenir un Téléphone Grave Danger ?
Seul un procureur de la République peut accorder un téléphone Grave Danger, pour une durée de 6 mois, renouvelable. Avant la loi de 2019, les conditions d’obtention étaient assez restrictives (la victime et l’auteur ne devaient pas cohabiter, ce qui excluait beaucoup de personnes + une interdiction judiciaire pour l’auteur d’entrer en contact avec la victime devait déjà avoir été obtenue).
Depuis 2019, un amendement précise qu’un téléphone peut être attribué en cas de danger avéré et imminent, même si aucune des procédures d’éloignement n’a encore abouti, ou si l’ex-conjoint est en fuite.
Cette attribution n’est toutefois pas automatique, les députés craignant qu’une attribution trop large nuise à l’efficacité du protocole de protection. Divers critères sont donc pris en compte, comme la durée et la répétition des violences dénoncées, l’ancienneté de la menace ou du harcèlement, les antécédents pénaux, le risque de réitération des faits, l’isolement de la victime, etc. Pas si simple.
Ensuite, un filtre administratif supplémentaire se rajoute… Un comité de pilotage départemental se réunit tous les 6 mois pour gérer les dossiers. C’est trop peu. Il faudrait que ces réunions aient lieu tous les 2 mois et que le nombre de téléphones disponible soit augmenté.
Le téléphone grave danger a déjà démontré qu’il pouvait être un outil précieux pour les victimes. Mais il reste trop peu attribué. Pire de réelles inégalités existent dans les différentes régions en France.
On avance dans le bon sens toutefois.
Le gouvernement s’est donné un objectif : déployer d’ici la fin de l’année 3000 téléphones grave danger.
2584 téléphones étaient déployés à la date du 30 septembre 2021, contre un peu plus de 2000 le 1er juillet.
72% d’entre eux, soit 1849 téléphones, sont attribués à des victimes.
Néanmoins, en plus d’augmenter le nombre de Téléphones Grave Danger distribué, d’autres actions pourraient être mises en place en parallèle afin de soutenir l’efficacité de ce dispositif.
Les agresseurs devraient êtreéquipés d’un bracelet électronique (voire chaque partie, pour plus d’efficacité). Cette précaution est peu imposée par les juges actuellement, même dans le cas d’une ordonnance de protection. Pourtant le bracelet électronique (ou bracelet anti rapprochement) a fait ses preuves en Espagne où le nombre de féminicides a significativement baissé. Idéalement, il permet de contacter à la fois l’émetteur, la victime et les forces de police.
Une prise en charge en amont des personnes violentes serait plus pertinente. Les besoins ne manquent pas. Comme les faire participer à des stages de sensibilisation aux conséquences pénales, relationnelles, et familiales de leurs actes. Rendre obligatoire un recours à l’analyse psychiatrique. Ou imposer un dispositif d’hébergement tiers au compagnon violent pour protéger la victime, etc…
Mieux former les policiers à la gestion des violences intra-familiales pour une meilleure évaluation du danger et de fait une meilleure prise en charge.
Rendre les fichiers des auteurs de violences conjugales plus accessibles à tous les services publics compétents.
Quelques bémols sur les téléphones Graves Dangers
Le téléphone grave danger devrait être étendu, même si il existe cependant quelques bémols dont les victimes nous ont fait part.
Détenir le téléphone grand danger représente tout à la fois un soulagement d’avoir été entendue par la justice et reconnue comme une victime en grave danger ; mais cela donne une charge mentale en plus à la victime. Celle-ci doit tout le temps surveiller son téléphone, vérifier qu’il est bien chargé, penser à le prendre en permanence avec soi, même lorsque l’on va descendre les poubelles.
Bref il faut véritablement se greffer son téléphone.
Et puis encore faut-il trouver son téléphone face à un danger, on peut perdre ses moyens.
🔸 Enfin il faut bien réaliser que c’est une surveillance en permanence de tous les déplacements, il faut d’ailleurs penser à donner son adresse sur la plateforme téléphonique à chaque fois que l’on part en déplacement (vacances dans la famille par exemple).
Du coup au lieu que ce soit le coupable qui soit tracé et suivi, c’est la victime qui est surveillée. Est-ce bien normal ?
Mais le téléphone grave danger, même si il n’est pas l’idéal, représente un moyen de protection très utile.
🔸 Selon les victimes de violences conjugales l’idéal reste le bracelet anti rapprochement, mais pour cela il faut obtenir l’accord de l’agresseur, ce qui n’est pas normal.
🔸 Précisons qu’au préalable, pour obtenir le téléphone grave danger, il y a une évaluation qui est réalisée soit par Solidarité Femmes, soit par le CIDFF, soit encore par France Victimes, selon les régions, le dispositif est remis à l’une de ces trois associations.
Ce qu’on appelle le protocole féminicide est un protocole expérimental qui a fait ses preuves et qui permet de soutenir les enfants après un féminicide. Il n’est hélas pas déployé partout en France alors qu’il devrait être généralisé, c’est urgent !
Les enfants, secondes victimes des féminicides
Lorsqu’un homme tue sa compagne souvent après des années de violences intra-familiales, il laisse parfois derrière lui des enfants abimés, désormais orphelins de maman, voire de parents quand l’homme se suicide dans la foulée. Ces victimes esseulées doivent affronter un traumatisme immense et sont en grande souffrance. Les protéger et les prendre en charge semble une évidence mais hélas, ce n’est que très récemment qu’un protocole expérimental s’est mis en place dans le département de Seine-Saint-Denis, en 2014.
Différents protagonistes se sont mobilisés pour protéger les enfants victimes, qu’un partenariat salvateur a été initié pour la première fois dans le département de Seine-Saint-Denis, en 2014, entre :
le parquet du tribunal de grande instance de Bobigny,
le Centre hospitalier intercommunal Robert Ballanger d’Aulnay-sous-Bois,
le Conseil départemental de Seine-Saint-Denis via l’Observatoire des violences envers les femmes,
et le service de l’aide sociale à l’enfance.
En quoi consiste ce protocole féminicide ?
Depuis, là-bas, lorsqu’un féminicide laisse des enfants désemparés et traumatisés, un protocole s’enclenche pendant les jours suivants, actif jour et nuit.
Le procureur de la république prend en urgence une ordonnance de placement provisoire des enfants. Ils sont alors confiés au service de l’aide sociale à l’enfance pour évaluation et hospitalisation 3 à 8 jours.
Une accompagnante « grand-mère » formée est présente 24/24 pour assurer une présence continue et rassurante auprès des enfants.
Le service de pédopsychiatrie assure également l’interface avec le tribunal, la police, les professionnels des services de protection de l’enfance, etc.
L’idée est d’aller vite pour mettre à l’abri les enfants qui ont été témoins (ou non) du féminicide. Si tout le monde se félicite que ce protocole existe dans le 93, il demeure un protocole expérimental qui peine à se déployer en France ! Seul le Rhône, depuis avril 2021 seulement, a mis en place à son tour ce protocole féminicide, 24h/24 et 7j/7.
Déployons ce protocole d’aide aux victimes de féminicide
Dans le reste du pays, à la suite d’un féminicide, c’est souvent à un proche que les enfants sont confiés, dans l’urgence, sans accompagnement spécifique. Sans surprise, les professionnels observent ensuite de grandes difficultés chez ces enfants, notamment des troubles comportementaux et anxio-dépressifs. Sachant que dans 50% des cas, les meurtres se produisent devant les enfants, alors, face à ce traumatisme supplémentaire, une réelle prise en charge ne semble pas absurde.
La prise de conscience des répercussions des féminicides sur les enfants est encore trop lente. Pour preuve, ces derniers ne sont passés d’un statut de « témoin » à celui de « victime » qu’en 2018 !
On s’interroge. Comment ces enfants grandiront-ils ? De quelles prises en charge psychologique et financière bénéficieront ces fratries abimées pour se reconstruire ? Ceux qui sont déjà passés par ce douloureux chemin témoignent de leurs difficultés immenses régulièrement dans les médias, et pourtant rien ne bouge.
🔸 Il est urgent de déployer le protocole féminicide dans toute la France. Il ne réglera pas tout mais sera un accompagnement d’urgence salutaire. Ne laissons plus ces enfants affronter seuls des féminicides dévastateurs, bien trop violents pour une jeune vie.
Caroline Bréhat est arrivée à pas de chat dans le bistrot parisien où nous avions rendez-vous. Un mélange de douceur et de volonté quand elle vous fixe, des yeux dans le vague le plus souvent, voilà une femme réfléchie et forte de plusieurs vies.
Romancière, psychanalyste et psychothérapeute française, Caroline Bréhat a travaillé quinze ans à l’ONU et dix ans comme journaliste à New York. Son roman autobiographique « J’ai aimé un manipulateur » (Éditions des Arènes), traduit en douze langues et son livre témoignage « Mauvais Père » (Éditions des Arènes) traitent tous deux du sujet des pervers narcissiques et des parents destructeurs.
Car hélas, cette quarantenaire connait bien ces personnes, pour avoir vécu avec un américain, père incestueux au pouvoir d’emprise phénoménal. Elle a dû fuir pour protéger leur fille, lutter longuement avec et parfois contre la justice, faire de la prison, convaincre le FBI de sa bonne foi… Une histoire de violence bien trop ordinaire tant elle ressemble à celle d’innombrables autres victimes (même si peu de femmes font l’objet d’un mandat Interpol heureusement). C’est sans doute cela le plus triste.
Caroline Bréhat a accepté de venir nous parler de son dernier livre «Les mal aimées ». Elle y aborde sous un autre angle la violence familiale transgénérationnelle, ce sujet que cette psychanalyste maitrise si bien à titre personnel et professionnel.
Bonjour Caroline Bréhat. Vos trois derniers romans s’attaquent à la thématique de l’emprise conjugale et parentale. Pourquoi ce sujet récurent dans vos œuvres ?
Caroline Bréhat : On dit souvent qu’on essaye de se réparer en aidant ou soignant les autres. J’écris des romans thérapeutiques pour aider les mères et les enfants aux prises avec les maltraitances et l’emprise. C’est ainsi que je les vois.
Quand je ne vais pas bien, j’écris. Je le faisais quand je vivais avec mon ex. Les scènes affolantes, je les écrivais. C’est comme cela que j’ai pu envoyer mon texte à mon éditrice pour mon premier ouvrage.
Écrire permet de se représenter une réalité complexe et difficile à appréhender. Je demande d’ailleurs souvent à mes patientes d’écrire leur vie sur le papier.
Les résultats sont toujours incroyables car ils leur permettent de devenir sujets de leurs expériences, de se revaloriser, de remettre de l’ordre dans le désordre. C’est le premier pas de leur reconstruction. Les patientes reprennent du contrôle. Parce que quand on rencontre le MAL, on a des difficultés à se représenter la chose. Alors si en plus, c’est le père ou la mère de notre enfant, et que l’enfant risque aussi d’être contaminé, c’est vécu comme une expérience apocalyptique. Les capacités élaboratives sont débordées, le psychisme est désorganisé et la personne ne fait plus confiance dans ses perceptions.
L’écriture peut littéralement sauver nos vies, comme l’écrit d’ailleurs Boris Cyrulnik dans son dernier livre « la nuit, j’écrirai des soleils ». L’écriture m’a aidée, d’autres personnes m’ont aidées aussi alors je redonne en retour autant que je peux. Et je parle de ce que je connaiscar mes récits sont partiellement autobiographiques.
J’ai écrit mes premiers livres pour ma fille. Celui-ci, il est pour les mères qui peuvent s’identifier à moi, ces femmes victimes de violence et d’emprise qui souffrent et dépérissent. Je souhaite que mes romans leur apportent du mieux-être.
Comment un pervers choisit ses victimes ?
Caroline Bréhat : Il choisira souvent quelqu’un qui a été fragilisé pendant son enfance, par un parent maltraitant à la fois sadique et séducteur (au sens clinique).
Sous l’influence du pervers, sa victime va se remettre en question perpétuellement. Elle va interroger constamment sa lecture de la situation, sa santé mentale, ses propres perceptions, ses émotions. Et au final sa capacité à appréhender le réel. Il en découlera une culpabilité et un manque de confiance en soi très mortifères.
La victime, au dernier stade de l’emprise, ne sera plus capable de recul. Elle deviendra comme KO et ne saura plus faire la différence entre le bien et le mal, avec la mise en place d’un système d’inversion des valeurs.
On devrait enseigner la psychopathologie au lycée. Les jeunes devraient avoir les bases et donc les clés pour se méfier.Car l’emprise gagne en puissance avec le temps. En coupant l’herbe sous le pied des pervers, grâce à un enseignement qui permettrait de les identifier dès la rencontre, on pourrait peut-être sauver des gens.
Comment justifiez-vous l’acharnement de certains membres de la police, de la justice face aux personnes qui se présentent comme victime d’un pervers ?
Caroline Bréhat : C’est tout le savoir faire du pervers ou du paranoïaque (car il s’agit souvent d’un des deux) justement. Quand il s’adresse à un individu qui a du pouvoir sur sa vie (un policier, un avocat…), il s’adapte très vite. Son discours est tellement convaincant, tellement puissant que pour son interlocuteur, sauver le pervers devient une mission personnelle. Cette force de persuasion contamine tout le monde. Et ce juge, cette éducatrice, cette directrice d’école se transforment en farouche défenseurs du pervers. Ils s’identifient, se sentent investis et en viennent à détester le parent protecteur.
C’est une capacité propre aux psychotiques et aux pervers. Ils ont des relations d’objets agressives. Ils choisissent des objets d’amour et de haine qui vont être capables de recevoir leurs projections.
Comment peut-on reconnaitre un pervers narcissique pathologique ?
Caroline Bréhat : Le narcissique pathologique, c’est la personne qui souffre d’une déficience empathique. D’ailleurs, c’est un conseil qu’on peut donner aux gens avant de se mettre en couple. Lancez des perches. Si votre amoureux.se n’a aucune réaction empathique sur des sujets auxquels vous l’exposez, s’il ne peut pas se mettre à votre place et ressentir ce que vous vivez, ce n’est pas forcément une bonne chose de continuer.
Un pervers ou un paranoïaque ont subi des choses dans l’enfance qui leur ont appris à lire dans les visages des gens qu’ils avaient face à eux, pour se défendre, pour survivre. Devenus grands, ce sont des fins psychologues, capables de lire les émotions et les failles, pour mieux s’en servir cette fois-ci pour dominer.
Les deux sont dans l’idéalisation d’eux-mêmes, dans l’omnipotence. Les deux sont sur-adaptés au conflit. Et surtout, ils sont dans le contrôle et peuvent vite virer parano et se mettre à tout surveiller. Très souvent ils projettent leur mal-être, leur travers à eux sur l’autre. C’est ce qu’on appelle la projection.
Quant à leur relation avec leurs parents (et leur mère plus particulièrement) elle est problématique. Ils n’ont pas réussi à se décoller psychiquement de leurs parents (leur mère en général)…
Comment revalorise-t-on un enfant victime d’un pervers narcissique ?
Caroline Bréhat : Il ne s’agit pas que de donner de l’amour. On pense instinctivement que l’amour suffira. Mais ce n’est pas si simple, c’est l’attachement le problème. Ces enfants souffrent de l’absence de sécurité qui a marqué leur environnement. C’est donc l’attachement qu’il faut fortifier.
Je pense qu’il faut les deux piliers déjà. L’amour effectivement mais aussi de la discipline. Un cadre cohérent, expliqué, rassurant, car souvent les enfants victimes sont très agressifs, notamment vis-à-vis d’eux-mêmes.
Faire faire des activités à l’enfant, lui faire rencontrer d’autres enfants, avoir des amis, cela lui permettra de lire dans le regard de l’autre une certaine admiration. Il entamera un processus d’amour de soi qui lui fait tant défaut puisqu’il souffre d’une faille narcissique. Et plus l’enfant est dans son adolescence, plus le regard qui lui importe n’est plus celui de ses parents, mais celui de ses pairs.
Le théâtre autant que les sorties avec ses amis peuvent aider en fait.
Faut-il aborder régulièrement le sujet des violences passées avec les enfants victimes ou au contraire passer à autre chose ?
Caroline Bréhat : Je ne sais pas. Dans mon cas, mon enfant vit très mal ces discussions, qu’elles viennent de moi ou de sa psy.
J’en parle en prenant des pincettes.
Les enfants sont très ambivalents à ce sujet parfois. Ils savent le mal qui a eu lieu dans le passé mais en même temps rêvent d’une évolution meilleure dans le futur.
Comment peut-on aider et être un allié pour les victimes ?
Caroline Bréhat : Les victimes ont besoin d’être entendues. Ça demande tellement de force et de courage de parler. Remuer tout cela est très difficile.
Alors croyez-les, ne minimisez-pas, écoutez, aidez à verbaliser sans jugement, avec une sorte de neutralité bienveillante. Ce qui aide, c’est l’empathie. Car les victimes sont dans un chaos total, où plus rien ne fait sens, elles se sentent comme exclues de la société et le monde leur parait froid et dur.
Si le taux de suicide est si important, c’est parce que les victimes ne se sentent plus appartenir à la communauté humaine. Elles sont là sans être là… Comme spectatrice de la vie sans pouvoir y participer.
Si vous voulez aider, soyez un ami inconditionnel.
On rajoute que pour mieux comprendre ce que vivent les victimes, lisez les livres de cette romancière. Vous appréhenderez plus facilement le désarroi de vos amis.
La méthode calliope est une méthode venue du Québec pour recueillir la parole des enfants victimes de violences sexuelles ou de maltraitance.
La méthode Calliope aide à la fois les enfants victimes afin que ces derniers soient capables d’exprimer leur vérité sans crainte de ne pas être entendus ni protégés ; mais elle forme également les intervenants professionnels (avocats, policiers, travailleurs sociaux, enquêteurs…) qui souhaitent travailler avec l’enfant et pour le protéger au mieux.
Le programme d’accompagnement de la parole de l’enfant proposé par Calliope vise à préparer les mineurs et les intervenants afin que la rencontre soit faite dans des conditions optimales.
Il existe des raisons objectives, des chiffres, qui justifient que l’accompagnement de ces victimes soit mieux pris en charge. Elles ont besoin de raconter ce qui leur est arrivé, besoin d’être écoutées, besoin d’être crues et enfin, elles veulent de l’aide.
🔸 L’association bretonne @alexisdanan35 a adapté la méthode Calliope à la législation française. Elle forme actuellement les gendarmes de Rennes afin qu’ils en expérimentent les bienfaits sur la parole des victimes.
🔸 La France a encore beaucoup de chemin à parcourir pour vaincre le tabou de l’inceste et celui des violences faites aux enfants.
🔸 Les professionnels doivent être mieux formés pour évaluer la situation et diminuer les conséquences des actes criminels subis. Ils sont en 1ère ligne pour apporter leur aide et les ressources adaptées. Leur compétence est capitale !
On le sait désormais, les violences intra-familiales sont majoritaires. C’est contre-intuitif, mais le danger n’est pas l’inconnu et ses bonbons, mais des figures familiales bien connues.
Les violences sexuelles commises sur les mineurs ont à 80% lieu dans un cadre familial, dans un cercle intime, celui-là même qui devrait garantir la sécurité, l’amour, le respect et l’épanouissement.
Ce sont des crimes non vus, impunis et avec un déni colossal. Pourtant les enfants parlent, émettent des signaux de souffrance, mais nous ne sommes pas capables de les entendre.
Les violences intra-familiales, des chiffres affolants
🔸 Les plaintes pour violences sexuelles sont classées sans suite dans 73% des cas.
Seules 11,8% de ces plaintes classées sans suite le sont pour absence d’infraction… dans l’écrasante majorité des cas ces plaintes sont classées pour « Infraction insuffisamment caractérisée » (source : http://www.justice.gouv.fr/art_pix/stat_infostat_160.pdf).
🔸 S’agissant des viols sur mineurs, seules 4% des victimes portent plainte, seules 10% de ces plaintes aboutissent aux assises, et parmi elles seules 30% d’entre elles sont jugées comme étant criminelles. C’est un constat d’échec total.
🔸 Depuis l’affaire Outreau la parole de l’enfant a été désacralisée, les condamnations pour viols et agressions sexuelles ont chuté de 23% à partir de 2005.
« Le risque réel auquel sont confrontés les professionnels intervenant dans le champ pénal ou celui de la protection de l’enfance n’est pas d’inventer ou de surinterpréter des révélations de violences sexuelles subies, mais au contraire de laisser passer sous leurs yeux des enfants victimes sans les protéger. » (Édouard Durand, juge des enfants, co-président de la commission inceste)
🔴 Il est inacceptable que la justice échoue à protéger les victimes.
Le cas horrible de l’inceste
« Il y a pour tout le monde une incorporation de la peur et de la grammaire du silence autour de l’inceste. Le véritable interdit ou tabou de l’inceste, ça n’est pas de le commettre, puisque ça arrive partout, tout le temps, mais c’est d’en parler. » Dorothée Dussy
Dans le cadre des violences intra-familiales, l’inceste fait figure d’effrayant emblème. Il existe en proportion gigantesque mais reste tabou. Le mécanisme du silence de l’inceste est puissant.
🔸 Quand la vérité est exposée, très souvent, les relations familiale avec l’incesteur ne sont pas altérées. Non seulement les victimes ont d’immenses difficultés à être soutenues et entendues. Mais c’est souvent elles qui se retrouvent exclues du cercle familial. Ce qui pose problème à la famille est moins l’acte que son dévoilement. La réputation passe avant la protection de l’enfant. La victime qui a parlé est jugée pour avoir apporté l’opprobre.
🔸 Qui sont les incesteurs ? 96% des incesteurs sont des hommes. Ils seraient environ 1 million, rien qu’en France. Portrait robot de l’incesteur : – C’est une personne dominante – C’est une personne qui est conflictuelle et ne fait rien pour apaiser le conflit – La justice fait partie de son pouvoir de nuisance, c’est un nouvel instrument
🔸 Il y a tellement d’incestes perpétrés en France que nous connaissons forcément les auteurs de ces violences. Statistiquement, tout le monde a rencontré un incesteur.
Voici le témoignage de Julie, une maman séparée d’un ex-conjoint manipulateur. En 2019, sa fille Inès se plaint d’inceste. L’inceste est d’abord nié par le tribunal puis reconnu en appel, le droits de visite du père sont alors suspendus. Mais un jugement JAF de 2020 revient sur cette décision. Julie décide alors de ne plus représenter sa fille au père pour la protéger et elle devient hors-la-loi.
Ce témoignage est en deux parties car depuis les choses ont évolué, mais hélas pas en bien. Vous trouverez cette seconde partie plus bas.
🔸 Aujourd’hui Julie est perçue comme une maman aliénante et le juge menace de placer sa fille.
🔸 Pourquoi en France n’applique-t-on pas le principe de précaution ? Pourquoi le parent protecteur se heurte-t-il aussi systématiquement au déni de la justice ?
🔸 Aujourd’hui les médecins ne signalent pas car ils ont peur des sanctions.
🔸 Lorsque l’enfant parle, lorsque le parent protecteur parle, ils ne sont ni écoutés ni crus. La libération de la parole est une chose, mais ne suffit pas.
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Seconde partie
🔸 Vous connaissez le début de l’histoire d’Inès, victime d’inceste et de violence de la part de son père, Marc, depuis l’âge de 5 ans. Sa maman, Julie attend depuis 3 ans que sa fille soit protégée du comportement incestueux de Marc. Voici la suite de leurs vies malmenées.
🔸 En mars 2021, le Juge pour enfant semble trouver que les éléments à charge concordent, il reconduit l’AEMO, la garde classique et demande au père de « stopper ses pincements » sans évoquer les attouchements..
🔸 Quelques jours plus tard, Marc débarque pendant la récréation de sa fille et insiste pour lui parler. Inès est stressée de cette intrusion dans son école, lieu qu’elle estimait protégé. La maîtresse et le directeur étouffent l’affaire. Inès est terrorisée au point que sa mère finit par faire de la non-représentation d’enfant. Cela rend furieux le juge pour enfant qui déclare : » Puisque vous ne respectez pas la loi, je vais vous apprendre la moralité et le sens de la justice, à vous et à votre fille « Il place aussitôt Inès chez père en accordant à ce dernier les droits principaux de la garde classique. Julie ne comprend plus la Justice.
🔸 Quid du principe de précaution ? Ne s’applique-t-il qu’aux parents soupçonnés d’aliénation ? Et les parents soupçonnés d’inceste alors ?
Le protocole NICHD est une technique d’audition spécifique pour recueillir la parole des enfants (dès 4 ans), que ces derniers soient des témoins ou des victimes de violences. Ses objectifs :
viser la non-suggestibilité
être le plus fiable possible et augmenter la crédibilité du témoignage
ne pas contaminer la parole de l’enfant ni l’influencer.
Connaissez-vous le protocole d’audition NICHD ?
Améliorer les auditions d’enfants grâce au protocole Nichd
🔸 Le premier facteur clé de la qualité d’une info est la qualité de la question posée ! Pourquoi il est nécessaire de former plus de professionnels à ce protocole : Quand un enfant est auditionné par une personne utilisant mal son autorité et sa position dominante, il peut fournir des informations qui ne sont pas exactes car issues d’un stress supplémentaire. Pourtant, les enfants sont parfaitement capables de retranscrire un récit authentique et juste, et cela même très jeunes.
🔸 C’est aux professionnels d’être dans une posture d’écoute et d’alliance bienveillante afin de créer des conditions d’audition idéales. L’objectif est de diminuer la suggestibilité et augmenter la qualité du recueil de la parole pour au final que la Justice ait les bonnes informations.
🔸 Grâce aux questions plus ouvertes, le taux de révélation est plus important, les informations sont considérées plus fiables : Le personnel formé à ce protocole aide la Justice à mieux travailler.
Éric Dupond-Moretti était auditionné par la délégation aux droits des femmes du Sénat le 7 juillet 2021. Suite aux échanges, on se prend à rêver d’une réforme du délit de NRE !
La sénatrice Laurence Rossignol a déploré que les mères victimes de violences, si elles ne remettaient pas l’enfant au père violent par peur de coups, risquaient de se retrouver devant le tribunal.
🔸 Le Garde des Sceaux a répondu : « La femme qui ne donne pas ses mômes parce qu’elle a peur de recevoir une raclée, elle ne mérite pas d’aller devant le tribunal ». Il se dit être prêt à travailler sur ce sujet afin de trouver une solution, lors de l’examen prochain d’un projet de loi réformant la justice.
🔸 Rien n’est fait évidemment, mais la reconnaissance lors d’une séance au Sénat que le délit de non représentation d’enfant pose problème est déjà une avancée en soi. Maintenant évidemment il faut aller plus loin…
“Les viols sur mineur sont probablement le crime le plus impuni qui soit.” (Dr Emmanuelle Piet)
🔸 Il est inacceptable que la justice échoue à protéger les victimes. Les chiffres sont affolants : 1 fille sur 5 et 1 garçon sur 13 subissent des violences sexuelles , dont la moitié sont incestueuses. Aujourd’hui les violences sur enfants sont invisibilisées.
🔸 Pourtant les enfants parlent, émettent des signaux de souffrance, mais nous ne sommes pas capables de les entendre.
🔸 Nous souhaitons que la parole de l’enfant soit mieux prise en compte, que l’on applique le principe de précaution pour l’enfant, et que les magistrats, policiers, gendarmes, psys, personnel de l’éducation nationale, professionnels de l’enfance et de santé soient mieux formés : aux mécanismes de contrôle coercitif et de violences post séparation, au recueil de la parole de l’enfant sur le modèle du Protocole NICHD et de la formation Calliope. Enfin nous souhaitons que ne soient pas utilisés de façon inappropriée les termes « aliénation parentale » « conflit familial » ou « instrumentalisation ».
🔸 Notre société doit apprendre à protéger ses enfants. Nos institutions doivent entrer dans une culture de la protection : un parent violent n’est pas un bon parent, le lien parent – enfant n’est souhaitable que si le parent respecte son enfant.