La chambre criminelle de la cour de cassation est très attentive au respect des droits des fraudeurs fiscaux … et on ne peut que s’en féliciter s’agissant du respect des droits de la défense… mais hélas semble n’attacher aucun intérêt aux droits des enfants et du parent protecteur…
L’arrêt du 21 octobre 2020 de la chambre criminelle respecte les droits de la défense du fraudeur fiscal
Dans un très intéressant arrêt du n.1899 du 21 octobre 2020 (19-81.929) que l’on trouve sur le site de la cour de cassation, la chambre criminelle rappelle notamment, s’agissant d’actes de fraude fiscale:
«5. A tous les stades de la procédure, M. X a reconnu l’ensemble des faits reprochés».
Mais les droits de la défense doivent être totalement garantis, et la chambre criminelle expose, au terme d’un savant et intéressant raisonnement visant le droit communautaire, les sanctions administratives, le délit de fraude fiscale – amende , peine d’emprisonnement -, le principe de non cumul des peines et la cour conclut dans une belle formulation respectueuse des droits de la défense:
«64. Dans ces conditions il ne peut être affirmé que l’application correcte du droit de l’Union s’impose avec une telle évidence qu’elle ne laisse place à aucun doute raisonnable. 65 . Il convient en conséquence d’interroger la Cour de Justice et de surseoir à statuer jusqu’à sa décision».
La chambre criminelle de la Cour de cassation se montre donc très attentive aux droits de la défense de ceux qui sont poursuivis pour fraude fiscale.. et l’on ne peut que s’en féliciter .
Mais les enfants victimes de violence ne sont pas aussi bien protégés que les fraudeurs
On aimerait qu’il en soit de même pour les enfants victimes de violence et les parents protecteurs condamnés pour non représentation d’enfant.. Mais non hélas la chambre criminelle de la cour de cassation ne les protège pas…
Pour les parents protecteurs condamnés pour non représentation d’enfant à des peines d’emprisonnement parce que l’ado ne veut plus voir le père ou parce qu’ils craignent un danger plausible pour l’enfant – maltraitance, attouchements sexuels, agression sexuelle – c’est différent, pas de droits de la défense comme pour les fraudeurs du fisc!
« Par ailleurs, la question posée ne présente pas un caractère sérieux, dès lors que, d’une part, la non-représentation d’enfant incrimine le non-respect d’une décision d’un juge aux affaires familiales qui préserve justement l’intérêt de l’enfant et l’équilibre familial, d’autre part, les circonstances de la commission de l’infraction relèvent de l’appréciation du juge correctionnel et qu’il n’y a pas de disproportion manifeste entre la gravité de l’infraction et la peine encourue d’un an d’emprisonnement, au regard des impératifs de maintien des liens parentaux et, enfin, la démonstration, lors de la résistance de l’enfant, de l’existence d’une circonstance d’exonération est légitime, chaque parent devant faciliter l’exercice des droits de l’autre parent, sans instrumentalisation de l’enfant.«
Il est fait référence à l’aliénation parentale qui est un concept non fondé scientifiquement. Le ministère de la justice a d’ailleurs souligné en 2018 dans une réponse à la sénatrice Laurence Rossignol qui questionnait le gouvernement que:
« …une note d’information a été mise en ligne sur le site intranet de la direction des affaires civiles et du sceau du ministère de la justice pour informer les magistrats du caractère controversé et non reconnu du syndrome d’aliénation parentale, les inciter à regarder avec prudence ce moyen lorsqu’il est soulevé en défense… »
Pour les parents protecteurs condamnés pour non représentation d’enfant à des peines d’emprisonnement par ce que l’ado ne veut plus voir le père ou parce qu’ils craignent un danger plausible pour l’enfant, c’est différent ! Pas de droits de la défense ni de raisonnement subtil comme pour les fraudeurs du fisc !
En France la parole des enfants et du parent protecteur n’est pas, ou est mal, prise en compte. La justice se méfie et de l’une et de l’autre. Il faudrait davantage écouter les enfants dans les décisions judiciaires qui les concernent.
La Convention Internationale des Droits de l’Enfant (CIDE)
C’est pourtant ce qu’exprime l’article 12 de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant (CIDE) , et cette Convention a été ratifiée par la France. L’article 12 souligne qu’il faut écouter les enfants, notamment dans le cadre de procédures judiciaires qui les concernent. L’enfant a le droit, dans toute question ou procédure le concernant, d’exprimer librement son opinion et de voir cette opinion prise en considération.
Les États parties garantissent à l’enfant qui est capable de discernement le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant, les opinions de l’enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité. 2. A cette fin, on donnera notamment à l’enfant la possibilité d’être entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative l’intéressant, soit directement, soit par l’intermédiaire d’un représentant ou d’un organisme approprié, de façon compatible avec les règles de procédure de la législation nationale
Article 12 de la Convention relative aux droits de l’enfant (CIDE)
Cette Convention énonce également que chaque enfant a le droit d’être protégé de la violence, de la maltraitance et de toute forme d’abus et d’exploitation ; et que chaque enfant a le droit d’avoir une famille, d’être entouré et aimé.
Il faut davantage écouter les enfants.. et le parent protecteur
On n’écoute pas les enfants, ou si on les écoute on ne les croit pas. Les propos des enfants sont systématiquement remis en cause sous prétexte que la parole d’un enfant ne doit pas être sacralisée.
Malheureusement l’affaire Outreau a décrédibilisé, à tort, encore un peu plus la parole des enfants. Au lieu de retenir qu’il y avait eu réellement des enfants victimes, on a retenu qu’il y avait eu des adultes accusés à tort. A ce sujet nous vous conseillons fortement de lire les articles du blog Médiapart de Marie Christine Gryson , psychologue qui est intervenue durant le procès Outreau. Depuis cette affaire le principe d’écouter les enfants victime de violence dans une procédure judiciaire a été remis en question.
On n’écoute pas non plus le parent protecteur : aujourd’hui il est très difficile de dénoncer les incestes et les violences dans le cadre d’une procédure de séparation, le parent protecteur qui craint en toute bonne foi un danger pour son enfant est supposé aliénant, menteur et manipulateur ; et n’est pas cru. Si le parent protecteur refuse de représenter son enfant en raison d’un danger plausible : il est condamné à des peines d’emprisonnement.
La justice renomme pudiquement les violences conjugales et familiales en « conflit familial », et malheureusement ça change tout, pourquoi ? En ne nommant pas correctement les choses la justice maintient l’emprise et le risque de violence.
En nommant les violences dénoncées par l’un des parents « conflit familial » , les magistrats prennent le risque d’appliquer des mesures inadaptées voire destructrices pour l’enfant, par exemple de demander une médiation, une résidence alternée, et même de manière punitive de retirer l’enfant au parent protecteur pour le placer chez le parent agresseur.
Le conflit familial sous entend l’égalité des forces, chacun peut se défendre; or les violences conjugales et familiales se traduisent inévitablement par l’inégalité des forces, l’agresseur domine et a de l’emprise sur la victime, dans ce cas la justice doit s’adapter, elle ne peut pas proposer les mêmes solutions qu’en cas de conflit familial, sinon elle rend la victime encore plus vulnérable, ce qui est aberrant.
Pourquoi donc la justice ne nomme t’elle pas correctement les violences?
Le problème est que les magistrats ne voient pas la réalités des violences, car celles ci se passent à huis clos et qu’il est difficile de les prouver, et pourtant elles existent; les magistrats sont souvent trompés par le conjoint agresseur qui lors de le l’audience se comporte bien, est très poli, clair et structuré, il utilise un langage faussement conciliant; le juge se fait avoir et du coup pense que le parent victime ment pour soustraire l’enfant. D’autant que souvent le parent victime est à bout, épuisé, angoissé et de ce fait pas toujours cohérent, et très facilement déstabilisé.
Les magistrats devraient être mieux formés, actuellement rares sont ceux qui croient les victimes, et c’est un drame pour les enfants qui sont alors remis par la justice entre les mains de leurs agresseurs. Alors qu’ils devraient écouter les enfants et leur parent protecteur.
Et pourtant si le parent ne dénonce pas, c’est de la non-assistance à personne en danger. (articles 223-6 et 434-1 du code pénal). On exige donc du parent protecteur de prendre le risque qu’un délit soit commis (violence physique ou psychologique sur l’enfant) pour en éviter un autre (non représentation d’enfant). C’est absurde.
Quiconque pouvant empêcher par son action immédiate, sans risque pour lui ou pour les tiers, soit un crime, soit un délit contre l’intégrité́ corporelle de la personne s’abstient volontairement de le faire est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. Sera puni des mêmes peines quiconque s’abstient volontairement de porter à une personne en péril l’assistance que, sans risque pour lui ou pour les tiers, il pouvait lui prêter soit par son action personnelle, soit en provoquant un secours.
Article 223-6 du code pénal
Le fait, pour quiconque ayant connaissance d’un crime dont il est encore possible de prévenir ou de limiter les effets, ou dont les auteurs sont susceptibles de commettre de nouveaux crimes qui pourraient être empêchés, de ne pas en informer les autorités judiciaires ou administratives est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.
Article 434-1 du code pénal
Il n’est pas nécessairement dans l’intérêt de l’enfant de rencontrer un parent toxique qui se comporte mal.
Et il parait insensé que le parent protecteur se retrouve avec un casier judiciaire pour avoir voulu protéger l’enfant… Et il faut mesurer le désespoir du parent protecteur empêché de protéger son enfant et puni d’emprisonnement pour avoir essayé de le faire.
D’une façon plus générale, on voit bien que la manière dont la justice perçoit les enfants pose problème. La parole de l’enfant n’est pas crue. Acceptons enfin d’écouter les enfants, et les mères qui dénoncent.
En France le principe de précaution est inversé : le droit des enfants passe après le droit des parents
Quand il est difficile de prouver la maltraitance, on est dans un principe de précaution inversé: le principe de précaution profite au parent agresseur (dans le doute il garde ses droits de visite) au lieu de profiter à l’enfant (dans le doute il ne voit pas le parent). Cela signifie que le principe de précaution ne profite pas au plus faible, l’enfant.
En fait la Cour de cassation adopte le doute au bénéfice du parent agresseur, elle suppose par principe que ce que dit l’enfant est faux, elle suppose par principe que l’enfant est sous aliénation parentale de la part du parent protecteur. Alors qu’il faudrait davantage écouter les enfants la Cour de cassation fait le contraire, elle met en doute ses paroles.
Actuellement lorsque l’enfant ne veut pas aller chez le parent agresseur, ou lorsque le parent protecteur soupçonne une maltraitance, la justice considère systématiquement que l’enfant ou le parent mentent; mais il y a un angle mort dans ce raisonnement: quid de tous les enfants qui sont réellement maltraités, violentés, dont l’autre parent se comporte réellement mal?
Selon Michèle Creoff, ex-Vice-Présidente du Conseil National de Protection de l’enfance, juriste et ex-inspecteur de l’ASE : « Un enfant ne doit pas toujours garder des liens avec ses parents. Lorsqu’ils l’ont maltraité, violé, etc. Les enfants ont le droit de ne pas entretenir de liens avec leurs bourreaux. La protection de l’enfance c’est aussi accepter la déliaison.» (Twitter le 22 octobre 2020). Un enfant ne doit pas nécessairement garder coute que coute des liens avec l’un de ses parents lorsque ce parent est violent envers l’enfant, lorsqu’il y a maltraitance, inceste, etc. Il faut que:
l’on donne à l’enfant le droit de ne pas entretenir de liens avec son parent maltraitant; lorsqu’il y a soupçon plausible de violence il faut écouter les enfants et respecter leurs souhaits;
le parent protecteur ne soit pas condamné pour délit de non représentation d’enfant.
Beaucoup trop de parents protecteurs sont sous le coup d’une condamnation pénale ; comment la justice peut elle pénaliser le parent qui protège son enfant ? Beaucoup trop d’enfants sont en grande souffrance. C’est une situation indigne et hallucinante.
Encore une histoire folle d’une femme qui voulait avant tout protéger son enfant et elle-même d’un mari violent. Ce dernier la battait et menaçait de la violer ainsi que leur fille. Pour se défendre, elle a poignardé son conjoint. Elle est désormais sous le coup de la justice qui l’a condamnée à 7 ans de prison pour violences volontaires ayant entrainées la mort sans intention de la donner.
Adriana Sampaïo, une femme brésilienne, sans-papiers et aujourd’hui mère de cinq enfants, a voulu protéger sa fille aînée, alors âgée de 18 ans : son conjoint était en train de la battre et menaçait de les violer toutes les deux. Adriana le poignarde à deux reprises. En février 2019, elle est condamnée à 7 ans de prison, non pour meurtre, mais pour « violences volontaires ayant entrainé la mort sans intention de la donner (…).
Grâce à son avocat qui a pu la faire sortir provisoirement, Adriana comparaîtra libre lors de son appel, le 3 novembre prochain. Sa liberté doit être maintenue. Il n’est plus possible de voir s’exercer sous nos yeux une justice aussi patriarcale et hypocrite. Adriana est avant tout une victime.
Médiapart 26 octobre 2020 « Une victime de violences écope de 7 ans de prison: il faut protéger, pas incarcérer! »
Pour suivre le combat d’Adriana Sampaïo, suivez le compte Instagram des @les_effrontees et signez la pétition avant l’audience en appel mardi prochain 3 novembre, pour sensibiliser les magistrats et qu’Adriana Sampaïo ne retourne pas en prison, et puisse rester auprès de ses enfants.
Elle a simplement voulu protéger sa fille de son conjoint violent.
Update du 6 novembre!! Une très bonne nouvelle!!
La Cour d’appel vient d’acquitter Adriana Sampaïo ! Adriana Sampaïo a enfin été innocentée. La mobilisation de l’association Les Effrontées a été très suivie. C’est une grande victoire car on reconnait enfin la légitime défense en matière de violence conjugale.