En tant que candidats à l’élection présidentielle, nous vous adressons cette lettre ouverte pour vous signaler un problème majeur et urgent de protection de l’enfance.
Aujourd’hui, seulement 8 à 10% des 160 000 victimes d’agressions sexuelles sont protégées chaque année : voilà ce que révélait le 31 mars dernier, la commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (CIIVISE). Si la CIIVISE s’intéresse aux violences sexuelles, les conclusions peuvent se généraliser à l’ensemble des formes de maltraitances : violences physiques ou morales. Dans ses conclusions intermédiaires, la commission démontre aussi que la parole de ces victimes n’est pas suffisamment prise en compte. Les adultes protecteurs, parents comme professionnels, se heurtent quant à eux très souvent à un mur d’attaques virulentes de la part du Conseil de l’Ordre des médecins et de l’institution judiciaire, dispositifs pourtant chargés de la protection de l’enfance.
Lorsqu’il s’agit des parents, ces adultes qui ont souhaité intervenir pour protéger leur(s) enfant(s) peuvent perdre la garde, parfois leur emploi en raison de procédures trop prenantes, leur santé se détériore, et ils peuvent même être incarcérés pour non-représentation ou verser des pénalités financières extrêmement élevées. Or, plusieurs études sérieuses ont établi que le nombre de plaintes intentionnellement fausses s’élèverait à moins de 4% (Trocmé et Bala 2005).
Derrière ce paradoxe préjudiciable, apparaît l’endoctrinement de nombreux professionnels par l’introduction des prosélytes du SAP (syndrome d’aliénation parentale), concept refusé par toutes les instances scientifiques internationales, OMS, DSM 5, et par le Parlement européen. Ce concept stipule que lorsque les femmes demandent la séparation de leur couple, elles deviennent manipulatrices, procédurières et revanchardes. Au cours des dernières années, nous avons pu constater que cette théorie a peu à peu été adoptée par certains magistrats et par certains experts au raisonnement clinique insuffisant, ceci au détriment d’une analyse précise de chaque situation.
Des exemples concrets !
Comme le démontre la CIIVISE et les milliers de témoignages qu’elle a récoltée, le résultat a été dévastateur pour des dizaines de milliers d’enfants maltraités. Certains dossiers récents, comme celui de l’affaire « Adèle » (https://www.lefigaro.fr/actualite-france/adele-mere-protectrice-susceptible-d-etre-arretee-d-une-minute-a-l-autre-20220406), sont inclus dans la requête adressée au Conseil national de l’Ordre des médecins et au parquet général de la cour d’appel de Versailles du 8 avril 2022, requête envoyée par quatre associations spécialisées dans la protection de l’enfance et la lutte contre les violences sexuelles.
Nous pouvons également citer plusieurs cas récents qui impliquent des sanctions de professionnels. Celui de la pédopsychiatre Eugénie Izard, par exemple, condamnée en décembre 2020 par le Conseil national de l’Ordre des médecins à une suspension d’activité après avoir signalé des maltraitances sur une enfant. L’affaire est allée jusqu’au Conseil d’Etat en 2022. Autre cas plus récent : celui de la pédopsychiatre Françoise Fericelli, également condamnée par le Conseil national de l’Ordre des médecins en 2021 après avoir signalé en 2016 une suspicion de maltraitance physique, psychologique et sexuelle sur un patient mineur issu d’une fratrie de trois enfants. Depuis, l’un de ces trois enfants s’est suicidé.
Nous rappelons que les enfants ne peuvent pas se protéger seuls contre les agressions sexuelles, en particulier l’inceste qui implique toujours un niveau élevé d’emprise. Il est donc extrêmement préoccupant d’apprendre que les seules personnes qui peuvent les assister peuvent être souvent attaquées voire mises à l’écart par les dispositifs décrits ci-dessus. Or, nous considérons que ce sujet précis doit faire partie de vos priorités et que des déclarations générales sur la protection de l’enfance ne peuvent pas suffire, car il a une importance primordiale pour la construction de notre société.
Chers candidats à la Présidence de la République,
Nous vous demandons donc de corriger ces dysfonctionnements au plus vite. En tant que candidats à la présidence de la République, vous pouvez, vous devez agir : la protection de l’enfance ne peut se permettre d’attendre une autre élection présidentielle pour protéger ces victimes !
1) Nous demandons que chaque fois que les termes « syndrome d’aliénation parentale », « aliénation parentale » ou « tout autre terme entraînant la même confusion » sont utilisés par un juge ou par un expert, une contre-expertise soit systématiquement effectuée, et que la décision finale soit prise de façon collégiale. Une telle révision devrait aussi être effectuée pour les situations identiques déjà jugées.
2) Nous demandons que le Conseil de l’Ordre des médecins ne puisse plus exercer de sanction disciplinaire pour immixtion dans la vie familiale contre les médecins auteurs de certificats médicaux dans de tels contextes. Comme le souligne la CIIVISE, la crainte de ces sanctions participe au faible taux de signalements effectués par les médecins.
Pouvez-vous nous indiquer quelles actions vous comptez entreprendre en urgence si vous êtes élus pour que les enfants actuellement maltraités puissent être enfin protégés, en particulier dans les cas extrêmes où, dans un contexte de séparation conjugale, mères et enfants sont injustement séparés, à partir d’une argumentation extrêmement insuffisante.
Citations
Monsieur le candidat Emmanuel Macron
Lors de votre unique meeting de campagne que vous avez tenu à Nanterre (Hauts-de-Seine) le samedi 2 avril 2022 devant plus de 30 000 personnes, vous avez déclaré que la protection des enfants sera la grande cause nationale du prochain quinquennat, et que vous souhaitez en particulier les protéger du harcèlement dont ils sont trop souvent victimes. Vous avez aussi affirmé votre volonté de lutter contre l’inceste : « Je veux protéger nos enfants de tous ceux qui, dans les silences trop souvent tenus, ont commis le pire et continuent d’abuser d’eux. »
Cette promesse fait suite à la publication d’une vidéo le samedi 23 janvier 2021 sur les réseaux sociaux où vous vous êtes adressé aux victimes de violences sexuelles faites aux enfants : « On est là. On vous écoute. On vous croit. Et vous ne serez plus jamais seuls » marteliez-vous alors. « C’est aujourd’hui à nous d’agir. Il nous faut adapter notre droit pour mieux protéger les enfants victimes d’inceste et de violences sexuelles. » Vous aviez précisé qu’une consultation menée par le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti et le secrétaire d’Etat à l’Enfance et aux Familles Adrien Taquet « devrait déboucher rapidement sur des propositions.»
Madame la candidate Marine le Pen
Lors d’un interview avec le journaliste Karl Zero le 25 mars 2022, vous avez expliqué que les violences faites aux enfants sont « un sujet qui a énormément de mal à faire sa place dans le débat public et notamment dans le débat présidentiel. C’est un sujet qui est considéré par l’opinion publique comme touchant, en quelques sortes, à une forme d’intime et pour lequel les gens ont du mal à se saisir des propositions qui peuvent être faites. » Concernant le syndrome d’aliénation parentale, vous expliquiez qu’ « il ne peut pas y avoir un syndrome qui soit « posé sur la table », sans valeur juridique, sans valeur scientifique. Il ne peut y avoir qu’une évaluation par le magistrat et par une commission d’experts des conditions dans lequel la parole de l’enfant est reconnue ».
Vous rajoutiez qu’ « il y a une sorte de réticence de la société comme si les professionnels de l’enfance (…) considéraient qu’ils touchaient à l’intime du foyer alors qu’ils touchent à la protection de l’enfant, ce n’est pas du tout la même chose. Il y a une forme de réticence, de pudeur, à entrer dans le cercle familial pour protéger un enfant ou l’enlever de son cercle familial quand c’est nécessaire de le faire. Il faut vraiment qu’on fasse de cela, je crois, une cause nationale parce que c’est ça en réalité. »
Signataires :
Innocence en Danger
CDP Enfance
REPPEA
Protéger l’enfant
Peau d’Âme
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