Pourquoi se former au Contrôle Coercitif pourrait changer la donne

Pourquoi se former au Contrôle Coercitif pourrait changer la donne

Le contrôle coercitif est un concept qui nous vient de l’américain Evan Stark, ancien travailleur social et sociologue. En 2007, il publie Coercive Control : The Entrapment of Women in Personal Life, dans lequel il s’attaque aux idées préconçues autour des violences dites domestiques. Selon lui, il est rare que la violence physique soit une impulsion sortie de nulle part. Au contraire, la plupart du temps, les coups ne sont que l’aboutissement d’un « motif récurrent de comportements contrôlants, relevant du terrorisme ou de la prise d’otage ».

Cette compréhension plus large et plus juste des mécanismes de violences intrafamiliales a déjà été intégrée dans plusieurs codes pénaux (d’abord l’Angleterre en 2015, puis l’Écosse, plusieurs États australiens, le Canada…). Nous espérons que la France sera la suivante.

Le contrôle coercitif englobe toutes les formes de violences intrafamiliales sans se focaliser sur la violence physique.

Il désigne un schéma plus large de domination et de contrôle systématique qui vise à contrôler et assujettir la victime.

  • Isolement : Séparation de la victime de ses amis, sa famille et d’autres réseaux de soutien.
  • Intimidation : Utilisation de menaces, de regards, de gestes ou de destructions de biens pour créer un climat de peur.
  • Dégradation : Attaques verbales ou comportement humiliant pour diminuer l’estime de soi de la victime.
  • Contrôle des ressources : Surveillance ou restriction de l’accès aux ressources, par ex financières, éducatives ou professionnelles.
  • Surveillance : Utilisation de moyens de surveillance pour contrôler les mouvements et les communications de la victime.

Andreea Gruev-Vintilla a écrit un livre en français qui présente en détail ce concept. On souhaiterait voir cet ouvrage dans les mains de tous les intervenants dans la gestion des violences intrafamiliales.

Selon la chercheuse, le concept de contrôle coercitif remplace la sempiternelle question “Pourquoi la victime n’est-elle pas partie ? “ par “Comment l’agresseur s’y est-il pris pour l’empêcher de partir ?”. Et ça change tout.

Pourquoi ? Parce que la focale est enfin dirigée vers la source du problème, l’agresseur, et non sur les conséquences de ses actes (dont l’emprise qu’il exerce sur les victimes et leur incapacité à s’extirper de cette situation).

Le contrôle coercitif propose une meilleure définition du mécanisme de la violence, en mettant en valeur que l’essence de l’oppression, c’est d’être définie de l’extérieur, par un tiers qui lui-même s’auto-proclame supérieur.

La seule émancipation possible est alors de pouvoir se définir soi-même, ce qui n’est pas une mince affaire dans un cadre de violences intrafamiliales, d’oppression, de manipulation.

Pour autant, les proches ou les tiers témoins ont un rôle décisif à jouer dans la poursuite ou l’arrêt de ces processus. Au pire, leur indifférence ou leur neutralité servent l’agresseur. Au mieux, ils peuvent remarquer quelques actes. Mais s’ils ne sont pas formés au contrôle coercitif, le processus fragmenté mais continu de cette violence passe totalement sous leur radar.

Depuis 2023, au Royaume-Uni, la police est tenue de traiter la violence intrafamiliale comme une “menace nationale”, au même titre que la criminalité organisée, le terrorisme et la maltraitance des enfants.

En France, la cour d’appel de Poitiers vient de faire entrer le contrôle coercitif dans les tribunaux avec une série de cinq arrêts rendus le 31 janvier 2024.

Ces derniers mettent en lumière comment les faits s’inscrivent « dans un mécanisme historique et collectif d’inégalités structurelles entre les femmes et les hommes », et affirment que la violence intrafamiliale est une « forme de violence sociale » basée sur la domination.

La Cour d’appel a précisé que le contrôle coercitif est une atteinte aux droits humains en ce qu’il empêche la victime de jouir de ses droits fondamentaux.

C’est la première fois en France que des décisions judiciaires abordent les violences conjugales non plus juste sous l’angle de la protection de la famille, mais comme une atteinte aux droits fondamentaux des victimes. La cour a ainsi condamné un prévenu qui dénigrait sa compagne, contrôlait ses ressources alimentaires, l’isolait, la menaçait de mort…

L’arrêt indique : « Cette forme structurelle de privation contraint à l’obéissance par la monopolisation des ressources vitales ». La victime résume : « Il voulait avoir le contrôle sur tout ce que je faisais. » Dans une autre affaire, le prévenu interroge sans cesse sa compagne sur ses déplacements et « fait régner un climat de terreur au domicile ». Il la traite de pute, connasse, salope, lui crache dessus, profère des menaces de mort. Sa compagne « ne compte plus » les coups car « me frapper était la seule façon de me faire taire. »

Le contrôle coercitif est identifié comme un problème systémique. Il serait urgent de changer la loi pour qu’il soit érigé en infraction pénale.

De plus une formation obligatoire devrait être dispensée aux forces de l’ordre, aux magistrats, et à tous les intervenants concernés par la lutte contre les violences intrafamiliales.

Un suivi de la mise en œuvre de cette loi serait important au début pour qu’elle ne reste pas lettre morte. Tout comme le lancement de campagnes nationales d’information et de sensibilisation permettraient à cette notion de contrôle coercitif d’infuser plus vite et donc de mieux aider les victimes.

La société et ses forces représentantes doivent entamer un processus de transformation profond, aussi urgent que vital dans la gestion des violences structurelles actuelles.


Pour approfondir ce sujet, nous vous conseillons la lecture des articles « Pourquoi on devrait s’inspirer de l’Écosse en matière de lutte contre les violences intrafamiliales« , « Violences conjugales : le « contrôle coercitif », nouvelle arme des juges » et « Violences intra-familiales : « les magistrats doivent partager des connaissances conceptuelles »« .

Mariette, mère en lutte pour sauver sa fille d’un père incestueux

Mariette, mère en lutte pour sauver sa fille d'un père incestueux

En 2013, alors qu’elle vit avec une personne qui a des addictions (alcool, etc.) et qu’elle gère au mieux leur petit garçon, Mariette fait la rencontre du locataire de sa sœur, Léo.

Rencontré à l’anniversaire de sa sœur, il tente immédiatement de la séduire. La jeune entrepreneuse part une semaine plus tard au Népal 3 mois pour son business avec son fils et son père. Léo lui écrit tous les jours, au début sous des prétextes pro puis plus intéressé. Mariette est engluée par ses jolis mots qui arrivent en masse.

Quand elle lui confie la violence qu’elle subit, il lui dit « Quitte le, tu mérites mieux« , se positionnant en sauveur. Comme il vit chez sa sœur, il connait plein de choses sur elle, il la sait fragilisée. Mariette décide de quitter le père de son fils et l’annonce à sa sœur malgré la réticence de Léo : « Ne lui dis pas, elle sera heureuse pour nous« .

Quand sa sœur l’apprend, elle semble horrifiée : « tous mais pas lui« . Elle se met en colère, expulse Léo sans s’expliquer ni à son mari ni à sa sœur. Mariette comprendra des années plus tard par son frère que sa sœur avait une histoire avec Léo et qu’il les manipulait toutes les deux. A ce moment, Léo se met en colère, se pose en victime, s’en prend à lui-même, se scarifie.

Mariette, dépassée, déjà sous emprise, a le syndrome de l’infirmière, elle décide de le croire.

Léo lui propose de passer la saison des marchés avec lui. Il loue une maison isolée sans la consulter. Tout va très vite. Même l’arrivée des critiques. Léo la dénigre continuellement, lui reproche sa façon d’être avec les hommes au marché. A la fin de la saison, elle rentre chez elle, là où vit le papa de son fils. Ça énerve Léo qui voudrait qu’elle s’éloigne de lui mais Mariette résiste 2 ans pour que son garçon continue de voir son père. Léo lui fait payer ce choix en étant très agressif et culpabilisant.

Mariette et Léo finalement s’installent 5 mois dans une maison sans vis à vis, à 2km du papa. 5 mois d’horreur où Léo achève de mettre en place son emprise par un yoyo émotionnel puissant. Hyper possessif, violent, il alterne des moments de douceur où il « réclame » un enfant et des crises de jalousie et de schizophrénie : il casse tout, écrit sur les murs, lance des couteaux, répète des trucs en boucle, espionne l’ordinateur de Mariette…

Des amis, passant à l’improviste, sont témoins de cette folie et d’une tentative d’homicide : après avoir projeté des chaises et autres objets sur Mariette, Léo lui lance une hache qui passe à quelques centimètres de son visage. Il menace d’aller tuer son premier compagnon dont il ne supporte pas la proximité. Sidération de la part de Mariette, qui met cela sur le compte de la fatigue ou la drogue. Elle finit par fuir chez son ex qui ne réagit pas à son appel à l’aide. Alors elle retourne chez sa mère et annonce à Léo que c’est fini.

Ce dernier réussit à lui retourner le cerveau, lui faire croire qu’il va changer car il l’aime.

Sous emprise, apeurée, elle cède. Et le cycle infernal recommence. Léo la culpabilise. Tout est de sa faute à elle car elle ne veut pas déménager. Aux violences psychologiques et sexuelles se rajoutent des violences financières. Dépendante, ficelée, elle accepte de déménager dans une autre maison isolée ; loin de s’apaiser, Léo passe aux violences physiques.

Isolée, Mariette subit des coups de poings, de couteaux, des crachats. Il pousse la perversion jusqu’à s’imposer à la cuisine pour la menacer d’empoisonnement. Mariette est dans un état constant de panique et d’hyper vigilance. Elle ne dit plus rien, ne parle à personne. Un jour, elle ose demander pourquoi Léo la frappe, il répond :  » tu m’as demandé d’arrêter de m’en prendre à moi alors je m’en prends à toi « . Manipulateur n’est pas un mot assez fort pour le décrire.

Quand elle lui annonce qu’elle est enfin enceinte, loin de bondir de joie, il lui demande d’avorter. S’en est trop pour Mariette qui tente de fuir. Mais elle se fait rattraper et la violence augmente encore, par représailles. Quand il apprend que c’est une petite fille, Léo décide de garder l’enfant. Il impose un prénom très dérangeant car il veut qu’elle soit une guerrière. L’enfant aussitôt née, c’est comme si Mariette devait disparaitre.

A peine rentrés, il insiste pour qu’elle aille travailler. 3 semaines après la naissance, il lui fait traverser la France pour acheter le camping-car d’un pédo-criminel. Les « vacances » sont horribles, les coups pleuvent, même devant les enfants. De surcroit, elle comprend que Léo maltraite aussi son fils, jusqu’à déchiqueter son doudou. Il ne supporte pas les réveils la nuit. S’en est trop. Pour la 4ème fois, Mariette part se réfugier ailleurs mais il finit toujours par la retrouver et la menacer du pire pour elle et les siens.

Elle rencontre aussi pour la première fois la mère de Léo qui lui dit  » Fuis, il a un dossier psychiatrique, méfie-toi de son intelligence « .

Mais c’est trop tard, Mariette est comme dans une prison mentale où il lui est impossible de dire les choses, voire même de les penser. Elle vit dans un état de terreur, son état est téléguidé par la violence de Léo. P

ar hasard, elle découvre qu’il navigue sur le darknet (il lui dit qu’il cherche un tueur à gage pour elle). Puis furieux de s’être fait découvrir, il achète une arbalète dans la foulée. Un jour où il cherche à la tuer, elle se met à hurler et ses cris attirent les voisins, qui se rassemblent pour la protéger de la violence. Léo, fou de rage, arrache sa fille des bras de la voisine et la jette dans la voiture pour partir en trombe. Dès qu’il revient avec le bébé, Mariette part habiter chez une des voisines qui lui a dit :  » C’est fini, tu ne restes plus avec cet homme « .

Il dépose une plainte aussitôt pour dire qu’elle l’a abandonné, il ment et inverse la situation.

La voisine reloge Mariette en urgence. Cette dernière est terrorisée, épuisée, toujours sous emprise mais elle sait désormais qu’elle ne veut plus retourner chez Léo. Lui la retrouve, défonce sa porte pour la frapper, heureusement, d’autres voisins interviennent et contactent les policiers. Sous leurs conseils, elle porte plainte pour violence conjugale puis pour agression sexuelle.

Léo cesse alors ses visites, mais il la harcèle par téléphone. Et lors de la confrontation, il parvient sans souci à mettre la police de son côté. Les policiers pensent que Mariette est folle. La jeune femme trouve du soutien auprès d’une association, qui l’aide à obtenir la garde de sa fille. Et puis, elle ose prendre contact avec l’ex de Léo qui lui raconte qu’elle a vécu le même calvaire et qu’elle est encore terrorisée.

Petit à petit, Léo se fait plus offensif, il parvient à obtenir des droits plus larges.

Pourtant un rapport d’expert affirme qu’il ne mesure pas l’ampleur de ses impulsivités. En août 2018, tout s’effondre. L’enfant raconte à sa mère que son papa lui met « les doigts dans les fesses » et lui « apprend à l’embrasser sur la bouche« …. Un médecin constate des pustules sur la bouche de l’enfant qui explique « Papa m’a mis un bâton noir dans la bouche, j’ai failli m’étouffer » (un gode).

Horrifiée et en colère, Mariette se démène pour empêcher sa fille de retourner chez son père. Léo se retrouve à nouveau en droit de visite médiatisée. L’association remet un rapport édifiant contre le père et témoigne que l’enfant continue de dénoncer l’inceste, même devant son père. Hélas, le rapport disparait et l’ASE s’acharne à maintenir les visites. Pire leur psy accuse la mère de SAP (syndrome d’aliénation parentale) !

Léo fait systématiquement appel et au troisième, tout bascule. Un juge aux affaires familiales le croit et il récupère la garde exclusive de sa fille qui ne l’avait pas vu depuis un an.

Pendant les deux années suivantes, omnipotent, il manipule l’enfant, qui se verrouille, silenciée comme un soldat.

Mais elle se plaint toujours d’avoir mal au ventre, a un comportement sexualisé avec son grand frère…

Les gendarmes continuent de mener l’enquête, auditionnent l’ex de Léo et comprennent qu’ils ont fait fausse route. Le vent tourne un peu. Il y a quelques jours, le procureur a classé sans suite les plaintes calomnieuses du père. L’instruction est toujours en cours. Mariette espère pouvoir désormais récupérer ses droits et protéger sa fille. Mais hélas, souvent rien n’est moins sûr que la Justice.


Notre association reçoit de nombreux témoignages de parents protecteurs qui ne sont pas écoutés par la Justice. Cliquez sur ce lien pour consulter l’ensemble de ces témoignages.

Formons les magistrats aux différents contrôles coercitifs

contrôle coercitif

Les magistrats sont insuffisamment formés aux mécanismes de contrôle coercitif. Le contrôle coercitif s’étend bien au-delà de la violence physique et sexuelle, il peut comprendre des intimidations, l’isolement, le harcèlement, le dénigrement systématique, etc. Il existe hélas une palette très variée des violences (psychologiques, économiques, domination…).

Ces mécanismes sont très présents lors des séparations où l’un des conjoints exerce une emprise sur l’autre. Pourtant, la justice ne les prend pas en compte, ne les voit pas ou est à sous tour instrumentalisée. Elle devient un outil entre les mains du parent agresseur, pour maintenir l’emprise.

C’est le parent toxique qui va prendre le pouvoir par des procédures et continuer ainsi son emprise sur ses victimes.

contrôle coercitif



🔸 Des groupes de recherche comme le Réseau International des Mères en Lutte travaillent sur le sujet du contrôle coercitif post séparation, mais ces concepts ne sont pas encore bien maitrisés par la justice. Les magistrats devraient pouvoir bénéficier d’une formation sur ces sujets.

🔸 Une piste intéressante : pourquoi ne pas créer des tribunaux de la famille qui regrouperaient, civile et pénal, Juge aux affaires Familiales, Juge des Enfants et Juge d’instruction pour une même famille ? Ils pourraient ainsi travailler ensemble, qu’ils partagent les informations et se coordonnent afin d’être moins manipulés. Actuellement il n’y a pas de véritable coordination entre les juridictions et leurs intervenants.

🔸 On pourrait imaginer la création de tribunaux spécifiques dédiés aux violences intra-familiales, avec une formation spécifique au recueil de la parole de l’enfant et aux mécanismes des violences conjugales et familiales.

Pour en savoir plus sur le contrôle coercitif

Voici quelques articles à lire pour creuser le sujet.

👉 Qu’est-ce que le contrôle coercitif ?

👉 Le huis-clos se referme sur les victimes